Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/427

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

événemens. Est-ce influence des romans russes que Grazia Deledda fut alors, — entre autres le Tarass Boulba de Gogol ? Est-ce la conséquence de son indécision morale, errante autour du problème de l’amour, et que son expérience croissante, sa vue élargie du monde de l’âme, rendaient à la fois plus pénible et plus irrémédiable ? Sa mélancolie s’affirme ; dans les descriptions de paysages, à plusieurs reprises reviennent les mots d’« indicible tristesse. » La donnée de La Giustizia, le titre même, sont d’un amer pessimisme : car cette prétendue justice, c’est la défaite et l’oppression des victimes innocentes de l’amour par les hommes de préjugés et d’orgueil. Mais, — il est bon de le répéter, — cette douloureuse ironie n’est que dans le titre et dans l’inspiration générale. Elle ne vicie pas l’observation des sentimens et des mœurs ; car elle ne la dirige pas : elle en résulte.

Le trouble que l’on devine vers ce temps dans l’âme de l’écrivain laisse discerner deux symptômes intéressans pour l’évolution de ses idées et de son art. D’une part, sa compassion émue pour l’amour grandit. Il avait en quelque sorte, dans La Via del Male, voulu essayer de le détester, et il n’a pu s’empêcher d’absoudre ce qu’il avait d’abord songé à condamner. De plus en plus, l’amour lui paraît innocent, excusé tout au moins par les douleurs qui l’accompagnent. D’autre part, à mesure que s’assombrit sa contemplation de la vie, il accorde plus d’attention au détail pittoresque des costumes et des mœurs, à la description des paysages. Il semble qu’il trouve dans l’effort d’art, dans ses difficultés les plus raffinées, une consolation, — que dans l’art, intelligence active et créatrice de la vie, il voie la meilleure fin de la vie même. De cette époque vraisemblablement date la nouvelle qui a donné son nom au recueil intitulé : la Reine des ténèbres, et qui est une confidence. Maria Magda se sent le cœur noir et vide, hésitante qu’elle est entre le passé et l’avenir, dévorée par le désir de l’inconnu. Elle aime, mais l’amour mourra ; le temps passe ; toute chose est vaine : « l’idée de la fin lui gelait dans le cœur toute joie. » Elle se désespère, on la croit folle. Mais, une nuit, elle sort, et regarde la vallée. Les pures étoiles brillent, une légère fraîcheur se répand dans l’air et se mêle aux odeurs sauvages. Les feux des charbonniers brûlent les taillis, dans les montagnes. Et la contemplation de cette nuit dissipe la tristesse de Magda.