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conseils » qu’ils recevaient de lui. Alors, devant ces souvenirs, nous sentons que le vieillard s’émeut, presque malgré lui ; et tout à coup, dans sa phrase, se glisse un mot d’admiration ou de tendre pitié. « Les bonnes gens, » dit-il, ou, ailleurs : « Dieu doit être bien miséricordieux à notre endroit, qui faisons tant de maux ! » Et il y a même un passage, — le plus touchant, à coup sûr, de tout son récit, — où, sur un ton lyrique qu’il n’emploie d’ordinaire que pour recommander aux futurs capitaines ses propres exploits, il s’arrête à nous vanter la grâce et la vaillance des dames siennoises.


Tous ces pauvres habitans, sans montrer nul déplaisir ni regret de la ruine de leurs maisons, mirent les premiers la main à l’œuvre : chacun accourt à la besogne. Il ne fut jamais qu’il n’y eût plus de quatre mille âmes au travail, et me fut montré par des gentishommes siennois un grand nombre de gentils-femmes, portant des paniers sur leur tête, pleins de terre. Il ne sera jamais, dames siennoises, que je n’immortalise votre nom, tant que le livre de Montluc vivra : car, à la vérité, vous êtes dignes d’immortelle louange, si jamais femmes le furent ! Au commencement de la belle résolution que ce peuple fit de défendre sa liberté, toutes les dames de la ville de Sienne se départirent en trois bandes : la première était conduite par la signora Forteguerra, qui était vêtue de violet, et toutes celles qui la suivaient aussi, ayant son accoutrement en façon d’une nymphe, courte et montrant le brodequin ; la seconde était la signora Piccolhuomini, vêtue de satin incarnadin, et sa troupe de même livrée ; la troisième était la signora Livia Fausta, vêtue toute de blanc, comme aussi était sa suite avec son enseigne blanche. Dans leurs enseignes elles avaient de belles devises : je voudrais avoir donné beaucoup et m’en ressouvenir. Ces trois escadrons étaient composés de trois mille dames, gentils-femmes ou bourgeoises : leurs armes étaient des pics, des pelles, des hottes, et des fascines ; et, en cet équipage, firent leur montre et allèrent commencer les fortifications. Monsieur de Termes, qui m’en a souvent fait le compte (car je n’y étais encore arrivé), m’a assuré n’avoir jamais vu de sa vie chose si belle que celle-là ; je vis leurs enseignes depuis. Elles avaient fait un chant à l’honneur de la France, lorsqu’elles allaient à leur fortification ; je voudrais avoir donné le meilleur cheval que j’aie, et avoir ce chant pour le mettre ici.


Mais ce n’est point à Blaise de Montluc, décidément, que nous pourrons demander un portrait un peu complet et vivant de ce peuple siennois, — cette race de « cerveaux bizarres, » comme il l’appelle — qui, pendant quatre siècles, a étonné le monde par un mélange singulier d’intelligence et d’irréflexion, de bravoure et d’indolence, de piété et de débauche, de folle générosité et de folle rancune. Et ce portrait ne se trouve pas non plus, je dois bien le dire, dans la remarquable Histoire de Sienne que vient de publier, après des années