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rançon... Et tous, maris et femmes, furent conduits, liés de cordes, à notre cathédrale. Et là, pour l’amour de la Vierge Marie, qui avait donné aux Siennois une si grande victoire, tous furent remis en liberté, devant le maitre-autel. »

Vingt-quatre ans plus tard, en 1260, les Siennois, déjà fort affaiblis par une série de défaites, virent entrer dans leurs murs une ambassade florentine : « Nous venons vous signifier, dirent les ambassadeurs, que votre ville ait à être aussitôt démantelée et que les remparts de Sienne aient à être abattus, de façon que nous puissions entrer chez vous quand et par où nous voudrons. Nous avons, également l’intention d’élever chez vous, à Camporeggio, une solide forteresse, et de l’occuper pour notre magnifique et puissante commune de Florence. Mais si, pour votre malheur, vous refusiez de vous soumettre à ce que nous demandons, vous auriez à subir la colère de notre puissante commune de Florence. Et soyez assurés que, en ce cas, nous ne nous laisserions émouvoir d’aucune pitié ! » Les Siennois répondirent qu’ils refusaient de se soumettre à ces conditions monstrueuses : et aussitôt toute la ville s’apprêta pour la lutte suprême. Les nobles, d’abord, offrirent leur argent à la République : des chariots recouverts d’un drap écarlate apportèrent, dans l’église Saint-Christophe, des tas de florins d’or. Et la petite garnison allemande, dès ce jour, reçut double paie : « ce dont furent si heureux que dansèrent sur la place, et chantèrent maintes chansons dans la langue de leur pays. » Et l’évêque ordonna que son clergé « s’étant déchaussé, le suivît en procession à travers la cathédrale en chantant à très haute voix, pour invoquer la pitié divine. »


Or, pendant que messire l’évêque, avec tout son clergé, allait ainsi en procession, chantant leurs prières et litanies, Dieu mit à l’esprit du syndic Buonaguida de se lever, et de dire, d’une voix si haute qu’il fut entendu par les citoyens qui se trouvaient sur la place Saint-Christophe, en dehors de l’église : « Seigneurs de Sienne, et vous, mes chers concitoyens, nous nous sommes déjà recommandés au bon roi Manfred[1] ; et maintenant il m’apparaît que nous devrions, en toute sincérité, nous offrir, offrir nos personne, et nos biens, la ville et le contado à la reine de la vie éternelle, c’est-à-dire à notre dame et mère la Vierge Marie. Je lui fais, en tout cas, offre de moi même : puissé-je y avoir votre compagnie ! »

Et ledit syndic n’eut pas plus tôt prononcé ces mots qu’il se dénuda jusqu’à la chemise. Puis, étant nu-tête et nu-pieds, il prit sa ceinture de

  1. Il n’y a rien de plus touchant, de plus poétique, ni de plus siennois, que l’enthousiasme avec lequel Sienne s’était « recommandée » au bon roi Manfred en qui, sans doute, elle avait reconnu comme un reflet de sa propre « folie. »