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cuir et l’attacha, d’un nœud coulant, autour de son cou. Et, ainsi accoutré, en présence de tous les citoyens, il se mit en marche vers la cathédrale. Et derrière lui allait tout le peuple : et tous ceux qu’ils rencontraient en chemin venaient avec eux, chacun se déchaussant et ôtant son bonnet... Et, tout en allant, ils ne cessaient point de crier : « Vierge Marie ! secourez-nous dans notre grand besoin, et délivrez-nous des griffes de ces lions qui cherchent à nous dévorer ! » Et tout le petit peuple disait : « Oh ! très sainte dame, reine du ciel, écoutez la plainte des misérables pécheurs que nous sommes :... »

Quand la foule entra dans l’église, messire l’évêque et tout son clergé vinrent au-devant d’elle. Et, quand ils se rencontrèrent, tous se mirent à genoux, et Buonaguida se prosterna sur le sol. Mais messire l’évêque le releva et lui donna le baiser de paix. Et alors tous les citoyens allèrent l’un à l’autre, et se baisèrent l’un l’autre, sur la bouche. Et tout cela fut fait à l’entrée du chœur de la cathédrale.

Puis, se tenant par la main, messire l’évêque et Buonaguida s’avancèrent jusqu’à l’autel de notre mère la Vierge, et s’agenouillèrent là, avec de grandes lamentations et d’amères larmes. Et ce vénérable citoyen, Buonaguida, resta prosterné sur le sol, et tout le peuple fit comme lui ; et ils restèrent ainsi pendant un quart d’heure. Après quoi Buonaguida se remit sur ses pieds, et, debout devant la statue de notre mère la Vierge, il dit nombre de sages et prudentes paroles. Et, entre autres choses, il dit ceci : « Oh ! Vierge, glorieuse reine des cieux, mère des pécheurs ! moi. le plus vil des pécheurs, je cède, donne et offre à Vous la ville et le contado de Sienne ; et je vous prie, douce mère, de consentir à les accepter, malgré notre grande faiblesse et le nombre de nos péchés. Ne regardez pas à nos fautes, mais protégez-nous, défendez-nous, je vous en supplie ; délivrez-nous de ces perfides chiens qui veulent nous dévorer ! »


Comment une aussi fervente prière n’aurait-elle pas été exaucée ? Quelques jours après, dans la vallée de l’Arbia, au pied de la colline de Montaperti, les Siennois infligèrent aux Florentins une défaite à jamais mémorable. « C’est ce jour-là, écrit Villani, que fut brisé et réduit à néant l’ancien peuple de Florence. » Or, quand les troupes siennoises se furent emparées du carroçcio et de la grande cloche de guerre de leurs ennemis, leur capitaine, le comte Aldobrandeschi de Santa-Fiora, qui n’était cependant pas d’une race pitoyable, comprit que ses soldats étaient las de tuer. Il vint trouver le lieutenant du roi Manfred, et lui demanda si l’on ne ferait pas bien de proclamer que tout homme qui se rendrait aurait la vie sauve. Et ainsi fut fait. Du fort de Mortaperti une foule nombreuse descendit dans la plaine, des hommes de Lucques, d’Orvieto, de Cortone : tous se jetèrent aux genoux d’Aldobrandeschi. Puis ce fut le tour de ce qui restait en vie de l’armée florentine. « Et si désireux étaient-ils d’échapper à la mort qu’ils enviaient le bonheur de ceux qui, déjà, étaient pris et liés. Et