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beaucoup d’entre eux aidèrent à se lier l’un l’autre. » Une marchande siennoise, Usiglia, en lia trente-six, à elle seule. « Et tous ils la suivaient à travers le camp, comme de petits poussins vont derrière une poule. »

Vingt fois, durant les trois siècles que devait encore durer leur république, les Siennois, par négligence ou par excès de générosité, s’exposèrent de la même façon au danger d’être anéantis : et puis, au dernier moment, ils se réconciliaient dans leur cathédrale, invoquaient l’appui de leur souveraine, couraient à l’ennemi, et le mettaient en fuite. Le 23 juillet 1526, avec cent hommes de cavalerie, ils prirent toute l’artillerie florentine et dégagèrent la ville : après quoi, « couronnés de laurier, ils allèrent à la cathédrale remercier la Vierge ». En 1552, ils contraignirent une forte garnison espagnole à évacuer Sienne. Et, le jour où cette garnison opéra sa sortie, tous les jeunes nobles siennois montèrent sur le rempart, pour lui dire adieu. Et l’un d’eux, Octave Sozzini, dit au capitaine espagnol qui sortait le dernier : « Seigneur don Franzese, tu es à présent mon ennemi : mais je te déclare, en vérité, que tu es un digne gentilhomme, et que, sauf pour ce qui est de l’intérêt de la République, moi, Octave Sozzini, je suis et resterai toujours ton ami et serviteur ! » Don Franzese se retourna vers lui, et le regarda longtemps, « avec des larmes dans ses yeux. » Puis, s’adressant au groupe entier des jeunes Siennois : « Vaillans Siennois, leur dit-il, vous venez de faire, une fois de plus, un acte très glorieux : mais, à l’avenir, prenez garde, car vous avez offensé un homme bien puissant ! »


Toute l’histoire de Sienne est semée d’épisodes de ce genre, dont l’authenticité se trouve confirmée par les documens les plus sûrs : et beaucoup de ces épisodes ont été plus tard dérobés aux chroniques de Sienne par les historiens d’autres villes de l’Italie, qui ne se sont pas fait scrupule d’en enrichir les annales de leur propre patrie. Mais surtout les Florentins, depuis le jour où l’Empereur et le Pape leur ont enfin livré leur vieille ennemie, n’ont plus cessé à la fois de la plagier et de la diffamer. Aujourd’hui encore, l’antique cité de la Vierge continue à subir l’effet de leur déloyauté. Comme le dit fort justement M. Langton Douglas, « Florence doit au génie littéraire de ses panégyristes d’avoir, aujourd’hui encore, l’oreille du monde. » Sur toute l’histoire politique de Sienne, en particulier, nous acceptons docilement la version des Florentins ; et il n’y a pas jusqu’à un Grégorovius qui ne prête foi aux plus niaises calomnies inventées, par les écrivains de