Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/474

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ni de leur fantaisie, mais, en quelque sorte, d’une vision directe du ciel, élevés jusqu’à l’extase par la ferveur de leur foi. Ils ont été, tous trois, des saints, dans leur vie privée : si étrangers aux choses du monde que le progrès même de leur art, autour d’eux, les laissait indifférens, et que leurs œuvres nous apparaissent aujourd’hui en retard sur leur temps. Et tous les trois, chacun à sa manière, ont été ce que nous savons qu’a été le plus fameux, — et d’ailleurs le plus grand, — d’entre eux : et leurs compatriotes l’ont bien senti, qui, depuis des siècles, ont pris l’habitude d’appeler chacun d’eux leur « Angelico. » Florence a produit le bienheureux Jean de Fiesole, cet « homme de Dieu ; » à Milan, dans les dernières années du quattrocento, tandis que tous les peintres s’empressaient à imiter le style nouveau de Léonard de Vinci, un autre « homme de Dieu, » Ambrogio Borgognone, obstinément plongé dans son rêve mystique, a figuré sur des murs d’églises ou de couvens de pâles vierges d’une pureté, d’une bonté, d’une beauté surnaturelles ; et c’est presque vers le même temps qu’à Sienne Sano di Pietro nous a fait part, lui aussi, des angéliques images de Marie et de l’Enfant qu’il portait gravées dans son cœur[1].

Ce n’est pas que, à ne considérer chez lui que son métier de peintre, comme nous faisons pour un Filippo Lippi ou un Pérugin, Sano ait de quoi nous paraître le plus original, ni le plus habile, des maîtres siennois. Il dessine pauvrement, et sa couleur, souvent charmante, est parfois monotone, Mais, de même que Fra Angelico, — à qui des critiques tels que M. Rosenthal ou M. Berenson sont bien près de ne reconnaître qu’un talent de second ordre, — l’Angelico siennois a pour lui quelque chose de plus qu’à l’ordinaire des peintres. Dans ce « paradis » idéal où, à la suite de Simone Memmi, tous les maîtres de Sienne ont chanté leurs aimables chansons, sa chanson, à lui, a toujours été un hymne, une prière, l’hommage d’une âme toute remplie de Dieu. Et, aujourd’hui encore, son œuvre, avec son archaïsme et sa gaucherie, garde pour nous un charme sans pareil : il n’y en a pas où nous entendions mieux l’écho de l’ingénue et douce piété de la Cité de Marie.


T. DE WYZEWA

  1. Sauf un ravissant petit tableau au musée de Chantilly (et dont l’attribution n’est pas absolument sûre), toute l’œuvre de Sano di Pietro est restée à Sienne.