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son service de ne pas exécuter ses ordres pour le combat. » Le Duc de Bourgogne termine en demandant que sa lettre soit montrée à la Duchesse de Bourgogne, et il ajoute : « Son inquiétude et sa fluxion me font beaucoup de peine, mais son amitié me fait un extrême plaisir[1]. »

Quel usage Madame de Maintenon fit-elle de cette lettre ? Mit-elle à profit pour la communiquer au Roi une de ces heures d’intimité qu’il venait passer chaque jour chez elle, et durant lesquelles, lorsqu’il avait reçu quelque mauvaise nouvelle, il s’abandonnait à la tristesse, parfois aux larmes ? En personne prudente, crut-elle au contraire devoir la garder par devers elle, afin de ne point engager, si peu que ce fût, sa responsabilité dans une affaire aussi délicate ? Cela est impossible à dire avec certitude, car, dans une lettre à la princesse des Ursins où elle lui dépeint avec vivacité l’état de la Cour et où elle explique les perplexités du Duc de Bourgogne par les divisions qui règnent entre Berwick et Vendôme, elle ne fait allusion à aucune lettre qu’elle ait reçue de lui. Quoi qu’il en soit, Louis XIV ne fut ébranlé ni par la dépêche du Duc de Bourgogne, ni par la lettre de Berwick à Chamillart. L’hésitation à exécuter ses ordres paraît même lui avoir causé une certaine irritation. « Puisqu’ils veulent encore des ordres, ils en auront, » aurait-il dit[2]. Et, trois heures après son arrivée, le courrier qui avait apporté les lettres du Duc de Bourgogne, de Vendôme et de Berwick repartait avec une dépêche du Roi au Duc de Bourgogne qui commençait ainsi : « Vostre lettre du 6 que je viens de recevoir ne m’a pas moins étonné que surpris, et après l’avoir lue, et toutes les raisons qui y sont contenues, je ne trouve pas qu’il y ait d’autre parti à prendre que d’obliger les ennemis à lever le siège de Lille après un combat. » Après avoir rejeté les principales objections que le Duc de Bourgogne faisait valoir, il terminait par ces paroles assez dures : « Il ne sçauroit rien arriver de plus embarrassant par la suite, ny de plus déshonorant pour vous que de vous estre approché de Lille avec l’armée que vous coin mandez, pour avoir la douleur de la voir prendre par les ennemis. » A Vendôme, il écrivait sur le même ton, et il ajoutait : « On appréhende un peu trop vostre confiance sur les choses difficiles ou douteuses. Pour moy, je veux croire qu’il suffit que je vous

  1. Le Duc de Bourgogne, etc., p. 276.
  2. Saint-Simon, édition Boislisle. t. XVI, p. 311.