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y fasse faire attention pour que vous ménagiez toute chose avec la prudence nécessaire. » Et deux jours après, il expédiait un courrier, porteur d’une nouvelle dépêche qui se terminait ainsi : « Je persiste à vouloir que l’on secoure cette place et qu’on fasse ce qui sera humainement possible pour y parvenir[1]. »

En même temps qu’il faisait repartir le courrier, le Roi prenait une décision qui causait beaucoup d’étonnement à la Cour : « On fut bien surpris le soir, dit Sourches, quand on apprit que le ministre d’État de Chamillart avait pris à huit heures du soir la poste pour aller en Flandre, car on n’en savoit pas le véritable sujet, quoique bien des gens s’imaginassent que l’étoit pour faire cesser les démêlés des généraux[2]. » Le judicieux Sourches a raison. Ce n’était pas, comme plusieurs historiens l’ont écrit avec légèreté en se moquant du choix, pour décider s’il fallait ou non livrer bataille, que Louis XIV envoyait Chamillart à l’armée, mais pour rétablir, s’il était possible, la bonne intelligence entre Vendôme et Berwick, et, à ce point de vue, le choix n’était pas mauvais, puisqu’il avait reçu les confidences et les plaintes des deux chefs. Mais Chamillart qui, malade, avait dû s’arrêter trois heures en route, n’arrivait à l’armée que le 8 au soir, pour y trouver la situation déjà changée à notre désavantage. Pendant que notre armée se frayait péniblement un chemin, dans un pays difficile, pour se rapprocher des ennemis, ceux-ci ne bougeaient pas de leurs positions, mais s’occupaient avec activité à retrancher leur front, par où ils pouvaient seulement être attaqués, leur droite et leur gauche étant déjà couvertes par des obstacles naturels. Le Prince Eugène mettait à profit l’expérience qu’il avait acquise dans ses nombreuses guerres contre les Turcs, passés maîtres dans l’art de remuer la terre : « C’est une chose incroyable, dit le correspondant du Mercure, que la quantité de terre qu’ils avoient remuée en peu de temps, les Allemands ayant appris cette manœuvre des Turcs qui donnent toutes sortes de figures à la terre qu’ils ont remuée, ce qui les a souvent sauvés en arrestant leurs ennemis qui n’auroient pas manqué d’en triompher à coups de main[3]. »

  1. Dépôt de la Guerre, 2 083. Le Roi au Duc de Bourgogne et à Vendôme, 7 et 9 septembre 1708. « Vendôme n’avait pu agir, des ordres du Roi enchaînèrent sa volonté, » dit l’article Vendôme de la Biographie Didot. C’est avec ce parti pris et cette ignorance des faits qu’a été souvent écrite l’histoire de Louis XIV.
  2. Sourches, t. XI, p. 171.
  3. Mercure de France, numéro de septembre 1708, p. 317.