Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/571

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

savait maintenant où recruter des équipages, il ne parvenait qu’imparfaitement à inspirer le goût de la navigation à la jeune noblesse, habituée depuis des siècles au service de l’armée de terre. A son instigation la marine se démocratisa : elle facilita l’entrée de ses écoles de cadets aux fils de la bourgeoisie, elle ne fixa pas de limite d’âge pour les examens d’admission. A aucun prix, M. De Bismarck ne voulait recourir aux procédés d’autrefois. L’idée de faire commander ses vaisseaux par des officiers étrangers révoltait son patriotisme. Sa sollicitude était si éveillée sur ce point qu’on le surprend, dans sa correspondance secrète, en train d’intriguer auprès d’un de ses amis pour qu’un jeune garçon de quinze ans soit enrôlé dans la flotte allemande presque de force et malgré la volonté formelle de ses parens. « Il est bien doué, écrit-il, de corps et d’esprit. Il aura de la fortune du côté de sa mère, et son entrée chez nous serait un précédent qui, je l’espère, trouverait des imitateurs parmi les élémens analogues de la population des bords de la mer du Nord. »

Ce personnel d’officiers, objet de tant de soucis, n’existait encore qu’à l’état rudimentaire quand éclata la guerre de 1870. Autant l’armée était prête, autant la marine l’était peu. On n’avait pas encore introduit d’eau à l’intérieur des ports de Wilhemshafen, malgré la solennité de l’inauguration ; les cales de radoub n’étaient nulle part en état de fonctionner ; les navires de la flotte se trouvaient obligés de s’en aller en Angleterre quand ils avaient besoin de passer au bassin. En plus mauvaise situation encore étaient les batteries de côte et les ouvrages défensifs du littoral : la plupart attendaient les pièces d’artillerie qui devaient les armer. Les mines sous-marines, en nombre insuffisant, ne protégaient qu’imparfaitement les passes. Un accident de machine avait rendu indisponible un des plus gros vaisseaux de l’escadre : le König Wilhelm ; d’autre part, le Kronprinz était en avarie. On constata bien vite l’impossibilité d’agir sur mer. On se contenta de garnir l’entrée des rades d’estacades, de pontons, de filets, de torpilles. Une batterie flottante compléta les fortifications commencées de Kiel ; la Nymphe fut chargée de protéger Neufahrwasser, dans la baie de Dantzig ; l’escadre se blottit au fond de la baie de la Jahde, dont toutes les balises avaient été enlevées ; les autres bateaux s’enfermèrent à Swinemünde, où l’étroitesse d’un goulet bien armé leur assurait une tranquillité suffisante. Il fallut compter seulement, pour