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tînt, lui aussi, à laisser la marine dans une situation subalterne. S’il consentait, forcé par le raisonnement et l’expérience, à la charger de la défense totale du littoral, — ce qu’on ne fit d’ailleurs qu’à demi, car il ne lui donna que les principaux ports : Kiel, Wilhelmshafen, Héligoland, — il ne désirait certainement pas la mettre sur le même pied que l’armée de terre, ni lui assigner un rôle de premier plan. Au moins, bien qu’il ne l’ait jamais ouvertement manifesté, croit-on deviner ce sentiment dans la résistance acharnée qu’il apporta à la création du canal Wilhelm, dont l’ouverture allait doubler la force de la flotte et lui permettre de nouvelles combinaisons stratégiques : « Mieux vaudrait, prétendait-il, dépenser notre argent à la construction de bateaux neufs. » Ce fut M. De Bismarck qui prit avec passion, contre lui, la défense du canal et de la marine : « La possibilité de sortir d’un trou avec toute l’escadre, s’écria-t-il au Reichstag (le trou, c’était la Baltique), rendra plus forte l’offensive ! » M. De Bismarck avait dit : « l’offensive. » Il avait ainsi ouvert à la marine des perspectives nouvelles : le grand mot était lâché.

Malheureusement, ce fut un officier de l’armée de terre, le général von Stosch, qui fut chargé, comme le voulait la tradition, de l’administration de la Marine. Il y apporta toutes les idées et toutes les préventions du corps auquel il appartenait. Les récentes réformes furent supprimées et le nouveau ministre déposa, sur le bureau du Reichstag, un programme de constructions neuves qui semblait, bien qu’avec des élémens plus modernes, reproduire, encore une fois, la flottille de Frédéric II. D’après le général von Stosch, partisan déclaré de la doctrine si souvent exposée par les généraux ses prédécesseurs, la marine ne devait ambitionner que le rôle de gardienne des rades et des ports de guerre. Ses vaisseaux, « placés à l’embouchure des fleuves ou à l’orée des golfes, ne devaient être que des forts flottans. »

Cette doctrine parut un peu étroite : on n’exécuta pas le programme de von Stosch. Mais le général de Caprivi, qui lui succéda, reprit avec plus d’autorité les mêmes idées. Elles étaient celles de l’armée de terre tout entière. Le passage aux affaires du futur grand chancelier de l’Empire fut marqué par l’arrêt presque total des constructions neuves. Une fois, il demeura cinq ans entiers sans mettre en chantier une seule unité importante. Sa plus grande faute, en ce genre, fut de