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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/576

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remplacer par des navires exactement semblables les navires démodés dont il était obligé de se débarrasser. Il alla si loin dans cette voie qu’en 1885, tombant dans la même erreur où l’on était tombé en France, il commanda aux arsenaux des bâtimens en fer et en bois, alors que toute l’Europe n’employait déjà plus que l’acier pour ses navires de guerre. Les mauvais types Arcona, Charlotte datent de cette époque. Aussi un historien sévère a-t-il pu écrire : « La façon dont on entendit alors le renouvellement de la flotte lit tomber la marine allemande au rang d’une puissance de sixième ordre, bonne tout au plus à une défense locale des côtes. »

C’était, en effet, une défense locale qu’avait en vue M. De Caprivi. Autant il avait négligé la flotte, autant il s’attacha à rendre intangible le littoral. À ce point de vue, on peut dire qu’il se montra un organisateur et un stratège de premier ordre. On commençait alors à entrevoir le rôle que pouvait jouer la torpille ; on s’essayait à construire des torpilleurs. Schwarzkopf, le rival de Whitehead, venait d’apparaître avec ses engins de bronze durci, capables de résister aux plus hautes pressions. Il avait, ainsi, permis à l’Allemagne de se soustraire à la dure nécessité de recourir à une fabrication étrangère : il avait trouvé la torpille nationale. M. De Caprivi l’encouragea, l’aida à développer ses usines, qui, plus tard, devaient approvisionner tant de puissances maritimes. En même temps, il appela M. De Tirpitz à la direction du service des torpilleurs. M. De Tirpitz était déjà connu comme un homme remarquable et d’avenir. Sous le ministère von Stosch, à une grande solennité navale en rade de Kiel, où il commandait les défenses mobiles, il avait frappé Guillaume Ier par l’originalité de ses vues et la sûreté de ses manœuvres. M. De Tirpitz pensait que le rôle du torpilleur ne doit pas se borner à la protection intérieure des rades à laquelle on le disait seulement destiné, mais qu’il devait étendre son action au large, porter plus loin la ligne de défense, au besoin prendre l’offensive. Il prévoyait le torpilleur de haute mer. Sa présence à la tête de l’administration engendra des progrès immédiats. Les matelots-torpilleurs, conformément au principe, militaire autant qu’industriel, de la division du travail, furent étroitement spécialisés. On imagina, pour les petits bateaux, cette institution si ingénieuse et si utile des Schiffs Kammern qu’on devait plus tard adopter pour tous les vaisseaux de l’escadre. Il