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comme eux, l’instinct de la conservation, l’instinct de la vie, et en même temps la connaissance et la pour de la mort. Cette contradiction est une des sources de ses maux.

La nature lui a départi, comme aux autres animaux, des instincts particuliers destinés à présider aux diverses fonctions et à en assurer l’accomplissement. Et, en même temps, elle a permis qu’il pût, en quelque sorte, tromper ces instincts et leur donner satisfaction par d’autres moyens que l’exécution des actes physiologiques en vue desquels ils existent. — L’amour et l’instinct de la reproduction naissent chez lui avant la puberté. Canova ressentit l’amour à cinq ans ; Dante lut amoureux de Béatrix à l’âge de neuf ans ; et Byron à peine âgé de sept ans aimait déjà Mary Duff. D’autre part, la puberté est sans rapport nécessaire avec la maturité générale de l’organisme. — L’instinct familial est sujet aux mêmes aberrations. L’homme limite le nombre de ses enfans. Les anciens Grecs pratiquaient l’avortement comme les Turcs d’aujourd’hui ; Platon permettait cette coutume et Aristote la conseillait. Dans la province de Canton, les Chinois des classes agricoles tuent les deux tiers des enfans du sexe féminin qui viennent au monde ; on faisait de même à Tahiti. Et toutes ces coutumes coexistent cependant d’une manière parfaite avec l’amour et le soin des enfans subsistans.

— L’homme aspire au bonheur : il le cherche. Rarement il y atteint. Mais, alors, il s’y épanouit, il en ressent et en manifeste le contentement, le bien-être et la joie. Contraste dérisoire ! Ce même sentiment est aussi la manifestation d’une des plus tristes maladies où sombre la raison ; la sensation de bonheur est un symptôme de paralysie générale : « Le malade est content de sa personne, dit un traité classique ; il est enchanté de sa constitution et de sa situation. Il vante sans cesse l’excellence de sa santé robuste, la vigueur de ses muscles, la fraîcheur de son teint, sa résistance à la fatigue. Ses vêtemens sont superbes, son habitation est fastueuse. Plus tard, dans une phase plus avancée, il s’attribue la puissance, les richesses et les honneurs : il se sent devenir prince, empereur, pape, Dieu. »

Ces discordances de la nature humaine, nous allons voir que la science ne se contente pas de les constater ; elle les explique. Mais il faut y insister encore. — La disharmonie n’existe pas seulement entre les sentimens et les instincts d’une part et les fonctions de l’autre. Elle règne dans l’organisation physique