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extérieures. Il y en a certainement bien peu qui meurent de mort vraiment naturelle, d’une « grande difficulté d’être, » comme disait Fontenelle. On voit des vieillards qui déclinent graduellement, qui s’endorment doucement du sommeil éternel, s’éteignant sans maladie apparente, comme une lampe qui n’a plus d’huile. Mais, outre que la vieillesse est déjà une maladie, une sclérose généralisée, l’autopsie révèle le plus souvent quelque lésion plus directement responsable de l’événement. D’ailleurs, tous les tissus ne périssent pas au même moment ; la mort se propage d’un premier élément atteint à tous les autres par une série de ressauts dus à l’agencement solidaire de l’organisme.

Qu’elle soit un accident inévitable ou le terme régulier du cycle normal, la mort survient trop tôt. Elle surprend l’homme alors qu’il n’a pas encore terminé son évolution physiologique. De là l’aversion ou la terreur qu’elle inspire. « Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement, » dit Larochefoucauld. Le vieillard ne l’envisage pas avec moins d’aversion que le jeune homme ; « le plus semblable aux morts meurt le plus à regret, » dit un vers célèbre. L’homme a conscience qu’il n’a pas sa bonne mesure. — De plus, tous les actes vraiment naturels sont sollicités par un instinct dont la satisfaction est un besoin et une joie. L’instinct maternel s’éveille au moment voulu chez les animaux et il disparaît ou se change en aversion dès que la progéniture n’a plus besoin de secours : l’appétence pour le lait se montre chez tous les nouveau-nés et fait place, souvent, à la répugnance, après le premier âge. Le besoin de la mort devrait apparaître à la fin de la vie, comme le besoin du sommeil arrive à la fin du jour. Il serait apparu, en effet, si le cycle normal de l’existence était habituellement rempli et si l’évolution harmonique n’était toujours interrompue par l’accident. La mort serait alors accueillie et souhaitée : elle perdrait son horreur. L’instinct de la mort remplacerait au moment voulu l’instinct de la vie. On sortirait vraiment de la vie, comme on sort d’un banquet, « rassasié de jours, » selon l’expression même que la Bible emploie pour Abraham, pour Isaac et pour Job.

Mais quelle est cette bonne mesure de durée de la vie qui nous est impartie ? M. Metchnikoff admet comme très probables les âges attribués à plusieurs personnages bibliques : 175 ans à Abraham, 137 à Ismaël, 110 à Joseph, 120 à Moïse. Buffon croyait à l’existence d’un rapport de 7 à 1 entre la longévité des