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comme auparavant, il s’en tint à une neutralité attentive, mais toujours muette, sur les compensations à demander et sur leur nature et leur étendue.

En retour de cette neutralité, il ne demanda à Bismarck qu’une garantie : c’est qu’après la guerre, il ne procéderait à aucun arrangement sans une entente avec lui. Bismarck donna verbalement cette garantie. Le prix que l’Empereur réclama de l’Autriche fut plus élevé : c’était la promesse, si elle était victorieuse, de céder la Vénétie et de ne pas changer l’état territorial créé par la guerre de 1859, même si l’Italie avait persisté à lui faire la guerre. Gramont, en congé alors à Paris, fut renvoyé à Vienne où il négocia très habilement un traité en trois articles par lequel l’Autriche prenait le double engagement qu’on lui demandait, à la condition que l’Empereur conserverait la neutralité absolue et ferait tous ses efforts pour obtenir la même attitude de l’Italie (12 juin).

Le jour de la signature de ce traité fut un des jours tristes de la vie de François-Joseph. Que de souvenirs il dut refouler ! que d’amertumes il dut dévorer ! « Tant qu’on discute, écrit d’une manière charmante Gramont[1], on tient encore à ce qu’on propose et on suppute ce qu’on espère. À mesure que l’instant final approche, la résistance augmente, le sacrifice grandit aux yeux de ceux qui l’accomplissent, et la compensation paraît perdre de sa valeur, et, quand tout est fini, les regrets se mêlent avec amertume à la satisfaction tempérée d’un triste devoir accompli. Telles sont les phases par lesquelles a passé en quelques jours l’empereur d’Autriche. » Il demanda un secret inviolable. Son armée d’Italie eût été démoralisée si elle avait appris que son sang serait répandu en vain, puisque la cession de cette Vénétie Qu’elle allait défendre était déjà consentie, quoi qu’il arrivât. Nous le promîmes d’autant plus aisément qu’une divulgation aurait faussé notre situation vis-à-vis de la Prusse.

Ainsi l’Italie entrait en guerre avec des sécurités exceptionnelles ; victorieuse ou vaincue, elle était assurée de gagner quelque chose et de ne rien perdre.

  1. Gramont à Drouyn de Lhuys (11 juin 1866).