Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/761

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Napoléon III a encouragé, soutenu constamment Bismarck : il ne s’est pas opposé à sa guerre contre le Danemark ; il lui a concédé la conquête des Duchés ; il a joué son jeu à la Conférence de Londres ; il a à peine protesté contre la Convention de Gastein ; il a poussé l’Italie à conclure une alliance sans réciprocité, ne s’est pas associé à la médiation anglaise, a approuvé la rupture de la Confédération ; il a tenu sur le pied de paix sa frontière du Rhin ; il a même évité au Prussien le désagrément de repousser des demandes indiscrètes. Non qu’il ait été joué : Bismarck l’a tenu au courant, au jour le jour, de ses combinaisons et n’a rien promis parce qu’on ne lui a rien demandé. L’Empereur l’a aidé, non par faiblesse ou par captation, mais en connaissance de cause. Il a de sa libre volonté contribué à sa fortune autant qu’à celle de Cavour, et, sans lui, Bismarck n’eût pas plus réussi que ne l’eût fait Cavour livré à ses propres forces. Et le motif qui l’a induit à travailler à la grandeur de ces deux hommes d’Etat a été le même : l’amour de l’Italie. En 1866, il n’a vu en Bismarck que l’instrument providentiel par lequel s’achèverait l’affranchissement que les menaces d’intervention du roi Guillaume n’avaient pas permis à Cavour d’opérer dès 1859[1].


XII

Et partant pour l’armée, le Roi dit à Benedetti, les larmes aux yeux : « Nous sommes dans les mains de l’Empereur : nous comptons sur sa loyauté. — Notre confiance en lui est si grande, disait aussi Bismarck, que nous ne laissons pas un soldat sur la rive gauche du Rhin[2]. » Peu auparavant, le même Roi avait déclaré à un diplomate allemand, militaire et chef de mission : « Si nous avons maintenant la guerre entre nous, nous nous réconcilierons plus tard en faisant une autre guerre en

  1. Un des rares Italiens qui se souviennent encore des choses d’autrefois, Gaétano Negri, ancien syndic de Milan, a dit : « Il ne convenait pas à la France que l’équilibre européen fût altéré, il ne lui convenait pas qu’au centre de l’Europe se constituât une immense puissance qui, menaçante, lui fit face à sa frontière. L’instinct de sa propre conservation lui enseignait nettement où était son intérêt, les voix les plus autorisées le disent, mais aucune ne réussit à faire brèche dans l’âme de l’empereur Napoléon, qui ne savait pas se plier à prendre une résolution qui fût une pierre d’achoppement au programme italien. » (Nel presente e nel passato, p. 89).
  2. Récit que m’a fait Benedetti.