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Boufflers fut blessé en effet, comme le fut, dans le camp opposé, le prince Eugène, car les deux adversaires, par la ténacité et le courage, étaient dignes l’un de l’autre. Ce prodige de résistance ne pouvait durer indéfiniment. Le 13 octobre, une dernière attaque rendit l’assiégeant maître du chemin couvert. Son artillerie commença de battre en brèche les bastions. Le 22, à midi, la brèche était rendue praticable. Le même jour à quatre heures, Boufflers faisait battre la chamade. « Mon cousin, lui avait écrit Louis XIV, le 19 octobre, je me remets entièrement à vous de prendre le parti que vous jugerez à propos pour rendre la ville de Lille aux ennemis lorsque vous ne pourrez plus la conserver… J’ai une confiance si entière en vous que je suis persuadé que, quelque chose qui arrive, vous aurez pris sur vous tout ce qui ne sera pas absolument contraire à mon service[1]. » Boufflers ne reçut cette lettre que le 23, quelques heures après que la capitulation venait d’être signée. Ce fut, connue il l’écrivait lui-même, « un grand sujet de consolation, dans le triste et douloureux parti qu’il avait été obligé de prendre, » que de voir ainsi sa détermination approuvée à l’avance par le Roi. Les termes de la capitulation étaient des plus honorables pour lui. Il voulut cependant qu’ils fussent soumis à la ratification du Duc de Bourgogne. Le 24, Coëtquen, brigadier, fut chargé de la lui apporter. Ici, nous préférons laisser parler Saint-Simon : « Il le trouva jouant au volant, et sachant déjà la triste nouvelle. La vérité est que la partie n’en fut pas interrompue, et que, tandis qu’elle s’acheva, Coëtquen alla voir qui il lui plut. Cette réception fut étrangement blâmée et scandalisa fort l’année avec raison, dont la cabale ennemie lira de nouvelles armes contre le prince[2]. »


III

La cabale avait beau jeu, en effet, et ce n’était pas seulement la capitulation de Lille qui donnait prétexte à ses attaques, c’était encore l’attitude et la vie du Duc de Bourgogne au camp du Saulsoy, durant ces tristes mois de septembre et d’octobre dont les longues journées avaient été si peu utilement employées par lui. Ce qui en revenait à la Cour n’était pas pour le grandir

  1. Sautai, p. 261.
  2. Saint-Simon. Édition Boislisle, t. XVI, p. 365-