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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/825

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conseils. « Je suis charmé des avis que vous me donnez, lui écrivait-il dès le mois de mai, et je vous conjure de les renouveler toutes les fois qu’il vous plaira[1]. » Pendant toute la première partie de la campagne. Fénelon ne fit pas usage de cette permission. Ce n’est qu’au commencement de septembre qu’il commença de s’émouvoir. Le bruit est arrivé jusqu’à lui que le prince, ayant renoncé au secours de Lille, s’en retournerait à Versailles avant la fin de la campagne. Ce bruit lui a percé le cœur, et il s’en ouvre au vidame d’Amiens, ce fils du duc de Chevreuse, sur l’âme duquel on le voit, dans sa correspondance, veiller avec une sollicitude si touchante. « S’il s’en va avec précipitation, écrit-il, laissant à un autre le soin de relever les armées du Roi, on lui imputera les mauvais événemens déjà arrivés, et on supposera qu’il a fallu laisser à un autre le soin de les réparer. Je prie Dieu qu’il soit son conseil[2]. » Son inquiétude est telle qu’il en écrit au Duc de Bourgogne lui-même, par une voie secrète qui est celle du vidame d’Amiens lui-même. C’est par le vidame que passeront désormais les lettres de Fénelon et celles du Duc de Bourgogne qui tient au secret, tant il redoute le mécontentement de son grand-père, si cette correspondance venait à être connue de lui. Fénelon dut être bientôt rassuré, car le Duc de Bourgogne n’avait pas pensé un instant à quitter l’armée. C’était, au contraire, Vendôme qui, dans un moment de pique, avait demandé à être rappelé. Mais, la communication avec son ancien élève ainsi rétablie par une voie sûre, Fénelon en profite. Il commence par des conseils d’une nature un peu générale, tout en s’excusant de ne pas suivre les règles de la prudence : « J’aime mieux, lui écrit-il, m’exposer à vous paraître indiscret que manquer à vous dire ce qui sera peut-être inutile dans un cœur tel que le vôtre. On vous estime sincèrement ; on vous aime avec tendresse ; on a conçu les plus hautes espérances du bien que vous pourrez faire ; mais le public prétend savoir que vous ne décidez pas assez, et que vous avez trop d’égards pour des conseils très intérieurs à vos propres lumières. » Il l’exhorte à user de toute l’étendue des pouvoirs que le Roi lui a laissés pour le bien du service, et à ne pas toujours attendre les décisions du Roi. « Il y a des cas pressans où l’on

  1. Fénelon, Œuvres complètes. Édition de Saint-Sulpice, t. VII, p. 264.
  2. Ibid., p. 267.