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REVUE LITTÉRAIRE

LE ROMANTISME DE TACITE

Est-il vrai que nous devions nous interdire de porter sur la littérature de notre temps aucun jugement et que, faute de recul, nous ne puissions ni en apprécier les tendances, ni en mettre les œuvres à leur plan ? Sommes-nous en progrès ? Sommes-nous en décadence ? Et les mérites que nous prisons le plus chez nos contemporains sont-ils des qualités ou des défauts ? Pour nous aider à sortir de cette incertitude, nous avons du moins un moyen, qui est de savoir auxquels parmi les écrivains du passé vont nos préférences. Les livres ont leur destin et ceux mêmes qui sont les mieux établis dans l’admiration des hommes sont sujets à des disgrâces ou à des retours de faveur. Ces oscillations du goût, dont triomphent les sceptiques, prouvent tout uniment que chaque époque a son idéal d’art et choisit parmi les œuvres des époques antérieures celles qui se rapprochent davantage de cet idéal. Nous préférons celles où nous retrouvons un peu de nous-mêmes. Nos admirations portent témoignage pour ou contre nous. ; cela surtout quand il s’agit des littératures grecque et latine. L’une et l’autre, elles ont terminé leur évolution ; chacun des écrivains y occupe dans l’ensemble une place qu’il n’appartient pas à la fantaisie individuelle de modifier. On peut trouver plus de plaisir dans Plutarque que dans Thucydide et on peut préférer Lucain à Virgile et Sénèque à Cicéron ; mais on ne peut pas faire que de ces écrivains les uns n’appartiennent à la bonne époque et les autres à un temps où le goût s’était altéré. Dis-moi qui tu admires, et je te dirai qui tu es. C’est une manière de nous renseigner sur nous-mêmes. L’épreuve