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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/964

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comte Lamsdorf. Certains symptômes peuvent inspirer des inquiétudes à cet égard. La crise ministérielle qui s’est produite à Sofia s’est terminée sans doute parle retour aux affaires de M. Danef et de tous ses collègues, à l’exception du général Paprikof qui a été remplacé par le colonel Savof, et on affirme que la Russie a imposé cette solution ; mais est-elle définitive et le nouveau cabinet Danef est-il d’une solidité à toute épreuve ? La majorité de l’armée paraît bien être avec le général Paprikof. L’obscurité qui a enveloppé la cité ne permet pas de savoir quel rôle y a joué le prince Ferdinand au jour le jour : on sait seulement qu’il l’a dénouée conformément au désir de la Russie. Mais elle a été longue, et les détails en sont restés mystérieux. À peine était-elle terminée, on apprend qu’un coup d’État moitié sérieux, moitié comique, a eu lieu à Belgrade, où le roi Alexandre joue de la Constitution qu’il a octroyée à son pays comme un prestidigitateur d’un gobelet. Il l’a supprimée, puis rétablie, dans l’espace de quelques heures : dans l’intervalle, il a remplacé, dans tous les corps de l’État, les radicaux par les libéraux ou les progressistes. Or ces derniers sont le parti autrichien et les premiers le parti russe. Nous ne nous risquerons d’ailleurs pas à tirer de l’événement une conclusion quelconque, car le roi Alexandre déroute volontiers les prévisions qui semblent le mieux établies. Toutefois, et si l’on en juge par les apparences, il semble bien que l’influence russe ait été combattue pendant plusieurs jours de suite à Sofia, et qu’elle ne se soit pas fortifiée à Belgrade au cours des évolutions et des manipulations fantaisistes que le jeune roi a fait subir à sa Constitution. Tout cela ne présage rien de bon. La Russie, qui a été autrefois l’élément révolutionnaire dans les Balkans, y est aujourd’hui l’élément conservateur. Assurément il y a là beaucoup de choses qui ne méritent pas d’être conservées ; mais la révolution à la manière bulgaro-macédonienne est un remède bien dangereux dans une situation qui exige des ménagemens et de la prudence. La Russie et l’Autriche ont sans doute été sages en proposant au sultan et en lui faisant accepter des réformes partielles : mais il reste à les faire accepter aux Bulgaro-Macédoniens, aux Serbes et aux Albanais, et ce n’est peut-être pas le plus facile.


FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-Gérant, F. BRUNETIERE.