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« Dieu sait, écrit le pauvre archevêque, les fatigues que je me suis données et le chagrin que j’ai de voir que mes soins ne peuvent avoir leur effet, puisque les choses n’avancent pas à proportion de mes peines et de mes souhaits. » Et pourtant il songe à envoyer en Espagne un aviso pour y annoncer le prochain départ de la flotte, à laquelle ce zèle malencontreux risquait de devenir fatal, si ce frêle bâtiment tombait aux mains des Anglais avant que les galions n’eussent gagné sûrement la Havane. Château-Renault s’oppose à la mise en route de cet aviso et en informe le vice-roi, qui ne fait aucune difficulté à reconnaître son imprudence. Ce prélat se montre d’ailleurs plein d’égards pour l’amiral français et le comble de menus cadeaux. Il lui envoie du chocolat, dont la fabrication était alors d’invention récente. « Je devrai à Votre Excellence la prolongation de mes jours par le nouvel usage du chocolat que je vais faire, répond le marin à cette gracieuseté ; on dit que c’est ce qui convient le mieux à des gens comme moi, qui ne sont plus jeunes. »

Toutefois, à s’éterniser ainsi, la situation menaçait de devenir inquiétante, car, avec le mois de mai, cesseraient les vents du nord, qui rendent si dangereux le golfe du Mexique. Or, tant que ces vents régneraient, il était probable que les Anglais n’exposeraient pas leur flotte aux risques d’une navigation périlleuse ; mais il était à redouter qu’ils ne profitassent de la brise plus douce, qui allait suivre, pour venir bloquer et bombarder les galions. De plus les fièvres commençaient à éprouver les équipages, et Château-Renault en avait violemment subi les atteintes.

À ces préoccupations s’ajoutait le souci d’avoir entrepris sans ordres l’expédition de la Vera-Cruz, et la crainte de se voir, au cas d’un échec, désavoué à la cour. En ces heures tellement obscures que déjà le devoir pouvait lui sembler se voiler d’incertitude, Château-Renault dut sentir bien des fois son courage prêt à s’égarer.

Une lettre de Versailles vint fort à propos le tirer de cette perplexité douloureuse : « J’ai, lui mande le roi, votre lettre du 17 février dernier, par laquelle vous m’informez du parti que vous avez pris d’aller chercher la flotte du Mexique pour l’amener sous votre escorte en Europe, et des mesures que vous vous proposez de prendre pour le faire avec succès. On ne peut être plus satisfait que je ne l’ai été de cette résolution, et je vous aurais donné l’ordre de faire ce que vous avez pris sur vous, si