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« Faucon de la Vistule, » et par sa modération dans la victoire, qui le lit aimer. Il rendit quelques services importans, en 1849, à l’armée du Danube, où il fut blessé deux fois. En 1859, à San-Martino, il battit les Italiens et les tint en respect jusqu’à ce que l’ordre général de retraite l’obligeât à leur laisser le champ libre. Il avait une belle figure, martiale et loyale, une voix forte de commandement ; il était énergique, tenace, d’une vaillance exceptionnelle ; ses officiers disaient que, sous la pluie des balles, son regard pénétrant devenait encore plus clair et qu’une flamme intérieure paraissait l’animer.

Il était connu comme amateur de théâtre. Cela donna l’idée à Victor-Emmanuel de lui envoyer en ambassadeur secret une belle actrice, Laura Bon, que le Roi avait beaucoup connue. Elle apportait la photographie de Sa Majesté, tous ses saluts, et se mit à réciter avec grâce le rôle nouveau qu’on lui avait appris : « Victor-Emmanuel était dégoûté de Napoléon et des Français ; il n’avait pas la fantaisie d’occasionner des déplaisirs au Saint-Père, de heurter le monde catholique en marchant sur Rome ; son vif désir serait de s’allier avec l’empereur d’Autriche pour obtenir pacifiquement la Vénétie par une large indemnité. Il demandait si Benedek serait disposé à rapporter à son maître ces propositions, et à assumer l’office de négociateur. » — Benedek fit à la belle des complimens sur ses talens diplomatiques, sur sa voix, sur ses dents, et lui dit simplement : « Si un général piémontais entrait sérieusement dans de pareils pourparlers, son roi et le monde entier s’écrieraient en chœur : Quel niais ! ou, pour mieux mieux dire, quel âne ! » Ils se mirent à rire ensemble de l’ambassade, et l’entretien se termina par une demande de recommandation auprès d’un directeur de théâtre de Vienne, faite par l’actrice[1].

Benedek, en sa qualité de Hongrois, de protestant, déplaisait fort aux archiducs et aux grands seigneurs qu’il eut sous ses ordres, et il paraît ne pas avoir épargné à certains les paroles dures et les sarcasmes. Sévère, mais bon, il était, au contraire, l’idole de ses officiers et de ses soldats. En Italie, sur un théâtre restreint, il avait très bien réussi. Sur une arène plus vaste et nouvelle, aux prises avec un, adversaire formidable, aurait-il

  1. Cette anecdote est racontée très agréablement par Benedek lui-même dans une lettre à son ami le général Crenneville, donnée par l’historien Friedjung dans son intéressant ouvrage sur Benedek : Benedeks Nachgelassene Papiere.