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l’idéal de son art, et l’œuvre entier de Beethoven en apparaît de plus en plus, à mesure qu’on l’étudie davantage, comme la sublime et presque constante expression.

L’héroïsme fut déjà le sujet et, pour ainsi dire, la matière morale des deux plus considérables parmi les poèmes symphoniques antérieurs de M. Strauss : Tod und Verklärung (Mort et Transfiguration ; 1889) et Ainsi parla Zarathustra (1895). Il n’y a pas jusqu’à Till Eulenspiegel (1894) et à Don Quichotte (1897) où la musique n’ait figuré des personnages d’un ordre différent, et comiques par endroits, mais encore et toujours des héros. Heldenleben vient couronner la série, sinon la clore, et témoigner, peut-être avec plus de hauteur, de la pensée maîtresse du grand artiste allemand.

Son œuvre se partage, sans s’interrompre, en six paragraphes, ou plutôt, car ils sont fort développés, en six véritables chapitres : « Le héros. — Les antagonistes du héros. — La compagne du héros. — Le héros sur le champ de bataille. — Les œuvres pacifiques du héros. — La retraite du héros désenchanté dans la solitude. » Ce long programme a le double défaut d’abord d’être trop long (l’exécution de l’œuvre ne dure pas moins de trois quarts d’heure), et puis d’être trop un programme, de l’être avec trop de précision.

Le poème symphonique est un genre difficile et discutable, à cause des périls que présente d’abord l’introduction dans la musique pure d’un élément extra-musical, et puis, et surtout la détermination de cet élément. Les ennemis de la musique à programme la condamnent par principe, la tenant pour une déviation, voire une dégradation de l’art, pour un attentat commis par la musique elle-même sur sa nature propre et sa spécifique beauté. « Ces scrupules font voir trop de délicatesse » et sans doute il est permis de suspecter la légitimité d’un principe auquel, depuis Berlioz et Liszt jusqu’à MM. Saint-Saëns et Richard Strauss, l’histoire musicale a prodigué les démentis éclatans. Il y a plus encore, et les défenseurs de la musique à programme peuvent invoquer une autorité qu’on ne récuse pas. Beethoven, à la condition expresse de ne pas trop étendre ou forcer son témoignage, Beethoven lui-même est avec eux. Un remarquable historien anglais de la sonate de piano, M. Shedlock, a démontré naguère que « l’idée poétique » se rencontre à la base de nombreuses compositions du maître. On ne peut douter que pour le plus grand peut-être des musiciens purs, la musique, et sa musique en particulier, ait existé non seulement en soi et par soi, mais comme expression et signe. Elle avait en quelque sorte charge d’âme, et le plus souvent,