« Ils jouent Wolfgang-Amédée Mozart ; ils jouent Sébastien Bach. Mais le bon Dieu, lui, personne ne le joue. » Et ce qu’il appelait le bon Dieu, ce qu’il leur reprochait à tous de ne pas comprendre et de ne point exprimer, c’était la musique en soi, la musique même M. Risler est à l’abri du reproche. Quelque musicien qu’il joue, que ce soit Mozart, Beethoven ou tout autre, celui-là « joue le bon Dieu. » J’entends que, par ses mains, il semble que toute musique et toute la musique nous soit donnée.
Mais c’est Beethoven surtout que le grand artiste saisit et nous livre tout entier. Il le fait éclater aux esprits comme aux âmes, et jamais, entre l’interprétation intellectuelle et l’interprétation pour ainsi dire morale du génie beethovénien, on ne vit plus merveilleuse parité.
Que parlons-nous même d’interprète ? M. Risler l’est à peine ; il ne l’est pas. Loin de s’imposer jamais, toujours il s’efface, il se soumet, il s’oublie. Ce n’est plus lui qui vit, c’est Beethoven qui vit en lui et dont la vie passe directement en nous. Dans les plus grandes choses comme dans les moindres, il lui demeure fidèle, et la plénitude de l’intelligence et celle de l’amour deviennent le prix, inestimable, de sa fidélité. Quand on entend M. Risler jouer Beethoven, on se souvient de la belle parole de David : « Vir obediens loquetur victorias. » C’est en obéissant qu’un tel serviteur chante les victoires d’un tel maître et qu’il est lui-même victorieux.
CAMILLE BELLAIGUE.