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fait faute ; mais, si je vous connais bien, les miennes vous auront manqué. Recevez-les donc, d’autant plus vives qu’elles ont plus attendu pour vous parvenir. Vous savez mon opinion sur l’inconvénient d’une initiation trop précoce aux devoirs et aux émotions de la vie militaire. Mais je dois vous avouer que, si quelque chose au monde pouvait diminuer, en moi, le regret d’avoir vu interrompre la belle et éclatante carrière de développement intellectuel que votre première éducation vous avait ouverte, c’est la manière dont vous avez abordé celle où vous avez été lancé à l’aventure. Vous y êtes entré en homme plus qu’en enfant. Toutes vos lettres et vos journaux surtout témoignent des dispositions sérieuses que vous y avez apportées. Je vous remercie d’avoir voulu qu’ils me fussent communiqués. J’y ai vu que vous étiez resté humain en présence de ces scènes d’inévitable et abominable destruction, sérieux, malgré l’entraînement et l’émotion un peu superficielle de la vie militante, fils et frère excellent, et j’ai vu aussi, à votre style, si négligé qu’il soit bien souvent, que vous aviez, du moins, conservé les bonnes traditions du Collège et que vous n’aviez pas, comme tant d’autres, laissé votre esprit dans les bagages de l’arrière-garde. Je vous en félicite. Votre nouveau grade vous impose une responsabilité plus grande et vous met désormais sur le premier plan. Vous allez être en spectacle à tous, et partout. Vous êtes chef de corps. Bientôt vous n’aurez plus, hiérarchiquement, de compte à rendre qu’au ministre. Mais, moralement, vous êtes comptable envers l’opinion, qui vous voit arriver sans défiance, mais non sans quelque émotion secrète, à un commandement si important. Je ne parle pas des ennemis politiques de votre famille, qui accuseront votre jeunesse : vous avez le droit de ne tenir aucun compte de leurs attaques. Mais vos meilleurs amis seront les premiers à vous recommander la circonspection, la prudence, l’emploi mesuré et bienveillant de l’autorité qui vous est confiée. J’ajouterai, moi, que, comme colonel, vous ne devez que justice et surveillance exacte, intelligente et sévère à vos subordonnés ; comme prince, comme fils d’un roi que les inimitiés politiques s’efforcent incessamment de déprécier et d’affaiblir, vous leur devez expansion, générosité, protection active, secourable, souvent magnifique, car vous n’êtes pas un colonel ordinaire. Vous devez faire aimer et considérer en vous la royauté, qui, seule, a eu la puissance d’élever votre jeunesse et votre inexpérience à