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n’avait été qu’un moyen d’amener une guerre par laquelle la France se grossirait des dépouilles de la Prusse défaite. En 1870, le roi Guillaume disait à son chef de cabinet Wilmowski : « Je serais porté à témoigner quelque générosité à Napoléon III en souvenir du service qu’il m’a rendu en me laissant faire la guerre de 1866. — Que Votre Majesté m’excuse, répondit le conseiller intime, je ne puis considérer cela comme un service. Napoléon était sûr de notre défaite et il l’aurait certainement exploitée à fond à son profit,… lorsque, contre toute attente, ce fut le contraire qui arriva : il n’était pas prêt. » Il n’est pas un Allemand qui n’eût répondu comme Wilmowski, et qui, aujourd’hui encore, ne parle de même. Et ce souverain loyal, véritablement désintéressé et ami de l’Allemagne, dont le seul tort avait été sa condescendance passagère de malade à de mauvais conseils, est redevenu et est resté, depuis la démarche de Benedetti, le voisin suspect, perfide, aux paroles et aux sentimens duquel on ne peut se fier et qui, après Sadowa, s’est abstenu par impossibilité de prendre, non par bon vouloir. Même en dehors de l’Allemagne, sa politique, qui avait été jusque-là taxée de générosité imprudente, ne parut plus qu’une convoitise déjouée. Tel fut le premier résultat de la politique des compensations.


IX

Elle eut un second effet, bien plus redoutable pour nous. Bismarck a souvent dit et répété dans ses Mémoires qu’il avait toujours considéré une guerre avec la France comme une condition indispensable du développement national de l’Allemagne tant au point de vue intérieur qu’au point de vue extérieur[1]. Il a antidaté ce sentiment comme tant d’autres. Avant 1866, Bismarck n’a pas pensé un instant à la guerre avec la France. Le premier jour où cette idée naquit dans son esprit fut celui de la médiation. Il la considéra comme une trahison au profit de l’Autriche et il s’écria : « Louis me le paiera ! » En réalité, cette médiation n’avait pas été défavorable à la Prusse : elle ne l’arrêtait que sur les points où cela lui était avantageux ; elle ne lui avait contesté aucun des fruits substantiels de sa victoire, ni l’annexion des Duchés, du Hanovre, de la Hesse, ni l’exclusion de

  1. T. II, p. 61.