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d’espion privé et d’agent clandestin, Montemayor, comme on a vu, joignait l’art de prédire l’avenir et la pratique des sciences occultes. Il se piquait, ainsi qu’il dit lui-même, de « deviner par les nombres, » et de « travailler les métaux, » c’est-à-dire de chercher la pierre philosophale. Il avait retrouvé, de plus, le « secret du baume merveilleux[1]. » Enfin il observait les astres, et tirait de leurs conjonctions des pronostics qu’il disait infaillibles. Tant de qualités réunies en faisaient pour le maréchal un précieux auxiliaire.

Disons pourtant que Luxembourg, sans nier son long commerce avec Montemayor, se défend avec énergie d’avoir ajouté foi à ses talens de prophétie, et proteste ne « l’avoir fait travailler que par plaisanterie. » Mais, comme on sait d’ailleurs qu’il s’enfermait parfois « des journées entières » avec lui, qu’il soumettait à ses « calculs » les plus importantes entreprises, il est permis de supposer qu’il était plus croyant à toute cette diablerie qu’il ne prétendit par la suite. Et qu’on ne s’étonne point de cette crédulité chez un sceptique invétéré, un notoire « libertin, » pour me servir de l’expression du temps. Le « libertinage » au grand siècle, — est-on sûr qu’il en soit autrement de nos jours ? — faisait fort bon ménage, fût-ce chez les gens les plus instruits, de l’esprit le plus éclairé, avec la plus grossière et la plus basse superstition. « Ces messieurs et ces dames, disait à ce propos le maréchal de Villeroy, ils croient au diable, et ne croient pas en Dieu ! » Libertins ou dévots, personne au reste, à cette époque, ne doutait de l’astrologie, encore si répandue et si fort en honneur qu’à la naissance de l’héritier du trône, Anne d’Autriche avait fait tirer son horoscope. Et l’on ne voit pas sans surprise, dans la correspondance secrète que certains de nos diplomates entretenaient avec Louis XIV, de quelles fables extraordinaires, de quelles enfantines balivernes, ils régalaient pieusement les oreilles du Roi Très Chrétien.


Ce n’était pas assez du vicomte de Montemayor. Un autre intime du maréchal, d’un rang beaucoup plus relevé, le poussait également dans une voie périlleuse.

J’ai mentionné, au cours d’une précédente étude, l’étroite liaison de Luxembourg avec son jeune parent, Antoine de Pas,

  1. Interrogatoire de Montemayor, Archives de la Bastille.