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Elle avait été jadis, lui dit-elle, « au service de Madame sa mère, » que son mari, « tailleur pour femmes, » avait, de plus, eu l’honneur d’habiller. Le jeune garçon qu’elle menait avec elle était filleul de la défunte marquise ; elle suppliait que, « par grande charité, » Feuquières le prît dans sa maison pour en faire « un petit laquais. » — « Heureusement pour moi, assure-t-il, je le trouvai trop petit, et n’en voulus point[1]. » Que ne rompit-il du même coup toutes relations avec la visiteuse ! Mais, malgré ses dénégations, il est bien démontré qu’il n’en resta pas là. L’ancienne soubrette de Mme de Feuquières n’était autre, en effet, que la femme Vigoureux[2], amie intime de la Voisin et chiromancienne en renom, hardie empoisonneuse, et l’une des grandes criminelles de son temps. Feuquières, hâtons-nous de le dire, ne la connaissait pas sous ce dernier aspect ; il n’eut affaire qu’à la sorcière ; mais il devint bientôt l’un des habitués du logis. C’est là qu’il connut également une autre fameuse héroïne du procès des poisons, Marie Bosse, la tireuse de cartes[3], grosse femme réjouie, haute en couleur, qui, dans son bouge de la rue Saint-Huleu, exerçait, en famille, l’état, comme elle disait, de « donneuse de consolations. » Elle sortait depuis peu des prisons du Châtelet, où elle avait fait un séjour comme complice de faux monnayeurs. Les deux commères reconnurent en Feuquières une proie aisée à prendre et bonne à exploiter : elles s’associèrent pour en tirer profit. Lorsque, plus tard, elles furent sous les verrous, elles s’égayaient encore, au cours des interrogatoires, à se rappeler tous les bons tours dont elles avaient berné Feuquières[4]. Tantôt c’est quelque « talisman » qu’elles lui vendent à haut prix, pour le préserver à jamais d’être « blessé par les armes ; » tantôt il s’agit d’assurer la réussite d’un riche mariage, qui rétablira sa fortune. Une autre fois, elles lui promettent, moyennant « une grosse récompense, » de le faire aller au Sabbat ; toute une longue négociation s’engage à ce sujet

  1. Interrogatoire de Feuquières du 1er février 1680, Archives de la Bastille. — Lettre du même à son père, du 16 mars 1680. Lettres des Feuquières.
  2. Marie Randon, femme de Mathurin Vigoureux, morte pendant la question, a l’âge de quarante ans, le 9 mai 1679. Elle avait été également autrefois au service de la marquise de Sourdis.
  3. Marie Marette, veuve de François Bosse, marchand de chevaux, arrêtée le 4 janvier 1679 avec sa fille et ses deux fils, exécutée le 10 mai 1679.
  4. Voyez notamment les interrogatoires de la Vigoureux du 4 janvier 1679, de Belamour, fils de la Bosse, du 20 février 1679, de la Chéron, leur complice, du 23 février, etc., etc. Archives de la Bastille.