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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 15.djvu/365

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avec Belzébuth en personne. La Vigoureux tenait la plume dans cette étrange correspondance et, au dire d’un témoin, « se pâmait de rire en écrivant. »

Il n’est guère douteux que Feuquières ne mît son ami Luxembourg au courant de ces maléfices et qu’il ne l’attirât vers ces curiosités malsaines. Peut-être même, par aventure, le maréchal, une fois qu’deux, assista-t-il à des évocations, à des conjurations magiques. La femme Bosse déclare, en effet, dans les tortures de la question, que « MM. De Luxembourg et de Feuquières eurent envie de parler au Diable, » et qu’une femme Poulain fut chargée de satisfaire cette fantaisie[1]. Dans tous les cas, le fait certain est que les deux amis prirent une part égare à la scène qui se passa chez Mme du Fontet, scène qui, grossie, dénaturée, dans un dessein facile à comprendre, fut le plus grave des chefs d’accusation dressés contre le maréchal, le plus perfidement exploité, le plus difficile à détruire. Il est indispensable à l’intelligence du récit d’en reconstituer les détails dans leur puérilité navrante, non tels qu’ils furent produits plus tard devant les commissaires du Roi, mais tels que nous les représentent les témoignages les plus sérieux et les plus concordans.


II

Parmi les lieux de réunion où fréquentaient Luxembourg et Feuquières, était l’hôtel de Mme du Fontet, « rue Montmartre, en face Saint-Joseph, » où s’assemblait régulièrement une nombreuse compagnie. C’était, autant qu’il y paraît, l’un de ces salons mélangés comme il en existe en tous temps, un salon d’un accès facile, situé sur la frontière qui sépare le vrai monde de la société plus douteuse. Les femmes y étaient assez rares ; les hommes, au contraire, affluaient. On y voyait nombre de gens titrés, quelques grands seigneurs authentiques, et beaucoup plus d’aventuriers. Luxembourg, pour sa part, s’y divertissait fort ; il y était si assidu, que fréquemment, assure Bourdelot à Condé[2], c’était dans cette maison qu’il recevait et écrivait ses lettres. La maîtresse du logis, née Marie de la Mark et veuve en premières noces d’un sieur de Gayonnet, avait pris pour second époux le

  1. Procès-verbal de question du 9 mai 1679. Archives de la Bastille.
  2. Lettre du 29 janvier 1680. Archives de Chantilly.