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marquis du Fontet, mestre de camp de cavalerie[1]. Elle avait été dans son temps « fort à la mode pour sa beauté ; » c’était maintenant une femme de quarante et quelques années, gardant quelque fraîcheur et plus encore de coquetterie, assez légère, un peu extravagante, bonne créature au fond et parfaitement inoffensive. Extrêmement « curieuse de toutes choses, » comme écrit Ricous à Condé[2], elle était fort éprise « des choses surnaturelles. » Une femme à son service, qui connaissait la Vigoureux, l’avait mise en rapport avec cette devineresse ; et la Vigoureux, à son tour, lui avait proposé de lui amener un homme qu’elle disait « bien plus savant qu’elle, » et qui l’initierait aux secrets les plus surprenans. Alléchée comme on pense, la marquise accepta, vit le magicien en question, et fut émerveillée des tours qu’il lui fit voir. Cet homme était le célèbre Lesage, l’âme du procès de Luxembourg, premier protagoniste et grand metteur en scène du drame qui va se dérouler, et personnage trop important pour que le puisse me dispenser de le présenter dans les formes.

Adam Cœuret, — c’était son véritable nom, — était originaire du village de Venoix, près Caen. Il avait près de quarante ans, quand, au début de l’année 1667, il vint s’établir à Paris, pour y créer, dit-il, « une manufacture de poils, » c’est-à-dire une fabrique de laine[3]. Il prit alors le nom de Dubuisson, qu’il quitta peu après pour celui de Lesage. C’est sous ce dernier nom qu’il se rendit fameux ; c’est celui que nous lui donnerons dans tout le cours de cette histoire. Il entra presque immédiatement en commerce avec la Voisin, habita sous son toit, et fut quelque temps son amant. La chronique dit qu’il la battait, sans que ce tort nuisît à leur parfaite entente. Ils étaient au surplus bien faits pour se comprendre, et s’assistaient réciproquement par un touchant échange de services et de complaisances. Lesage possédait pour sa part des « connaissances astronomiques, » ayant reçu, dit-il, les principes de cette science d’un certain curé de Mirecourt[4]. Il en communiqua quelque chose à son associée,

  1. Devenue veuve une deuxième fois, Mme du Fontet épousa, âgée de plus de quatre-vingts ans, un jeune homme de trente ans, nommé Hion d’Hérouval, auquel elle assura par contrat tout son bien.
  2. Lettre du 29 janvier 1680. Archives de Chantilly.
  3. Interrogatoire de Lesage, à la Tournelle, le 26 septembre 1668, Archives de la Bastille.
  4. Ibidem