Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 15.djvu/371

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Feuquières, dans sa déposition, le résume plus laconiquement : « Lesage, lit-on dans le procès-verbal, étant venu lui dire que leurs desseins réussiraient, et voyant que c’étaient de grosses menteries qu’il lui disait, il le chassa de sa chambre à cause de cela. »

La marquise du Fontet, ultérieurement interrogée[1], rapporte ainsi qu’il suit l’épilogue de l’histoire. « Au bout de sept à huit jours, Dubuisson (Lesage) vint la voir, et lui demanda si elle n’avait point vu ces messieurs ; à quoi elle lui dit que non, ce dont il parut étonné. Et, lui ayant demandé ce qu’ils avaient fait chez elle, Dubuisson lui dit que les femmes avaient la langue trop longue, et parut mécontent de ce que M. De Luxembourg ne lui avait donné que deux pistoles… Et depuis M. De Luxembourg étant venu chez elle, et étant tombé à parler de Dubuisson, il lui dit que c’était un fripon qui ne savait rien. » Luxembourg, en effet, atteste formellement qu’à la suite de cette expérience Feuquières et lui furent édifiés sur « l’habileté du personnage, » et détrompèrent nombre de gens sur le magicien à la mode, notamment le duc de Vendôme, auquel Lesage, « par ses tours de souplesse, » avait récemment « escroqué plus de soixante pistoles. »


III

Cinq ans avaient coulé depuis cette équipée. Le maréchal, pressé de soins plus importans, ne songeait guère à cette histoire ni à son grotesque héros, quand des circonstances singulières vinrent tout à coup lui remettre en mémoire et Lesage et ses diableries[2]. Pour suivre l’enchaînement des faits, il nous faut faire ici un bref retour vers le passé et nous transporter un moment au pays de Lorraine, à Ligny-en-Barrois, domaine immense et magnifique qui constituait le plus riche apanage de la duchesse de Luxembourg. Il s’y trouvait une forêt d’une vaste étendue, indivise entre la duchesse et sa sœur utérine, la princesse de Tingry. En 1665, on en fit une coupe générale, qui fut achetée d’avance, au prix de 400 000 livres,

  1. Interrogatoire du 6 mars 1680. Archives de la Bastille.
  2. Documens consultés pour les faits qui vont suivre : Lettre de Luxembourg sur son emprisonnement, passim ; Note de Mme de Ville-Evrard, loc. cit. ; Interrogatoires de Lesage, de Landart, etc., Archives de la Bastille ; Lettres de Louvois Archives de la Guerre, etc.