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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 15.djvu/411

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avancé à la terre un centime de capital, et draine constamment le revenu de l’Irlande hors d’Irlande ; — jamais il n’a accepté le régime agraire coin posé par ce conquérant, la loi de cet étranger : la loi anglaise n’est pour lui qu’une loi de fait, qui s’est superposée à la vieille coutume irlandaise sans la remplacer ni la détruire. De par cette coutume, le tenant s’est toujours considéré, — et bien avant même les lois Gladstone, — comme copropriétaire du sol. L’expulser injustement, c’est-à-dire pour non-paiement d’une rente excessive, c’est donc un acte criminel, c’est un vol, dont se rend complice, comme un receleur de biens volés, l’intrus qui, sans droit, dans une idée de lucre, et sans être lui-même un paysan, vient lui prendre sa place et lui arracher son bien. De par cette même coutume, le paysan injustement évincé garde virtuellement ses droits ; s’il peut reprendre possession par force, qu’il le fasse, — il le fait souvent ; — ceux qui ne le peuvent attendent, et souvent, après dix ans, vingt ans, ils arrivent à leurs fins. Telle ferme dont le possesseur a été injustement évincé, il y a vingt-cinq ans, est restée depuis lors en friche, et l’est aujourd’hui encore, parce que personne n’ose la prendre en violation de la coutume : c’est le cas de la black farm près de Maryborough.

Contre le « voleur de terre » et son compère le grazier, l’arme de défense naturelle et populaire, le boycottage, est ainsi légitimée par les mœurs : et à qui la faute, si ce n’est à un régime agraire artificiel, ne répondant ni aux conditions de la vie ni au caractère du peuple, qui n’est comparable à rien et n’a son pareil nulle part, car nulle part on n’a vu de lois permettant d’évincer 50 000 familles en une année, comme en Irlande, au temps de la famine, ou 17 000 paysans en quelques mois, comme en 1881-1882 ! Plus ou moins rigoureux, le boycottage est ici à l’état endémique. Naturellement, la Ligue l’a développé en développant l’agitation, mais il est resté pacifique, nul crime ne l’accompagne, c’est la grande différence avec les temps passés : on a fini par reconnaître que les attentats d’autrefois ne servaient qu’à provoquer la répression et à légitimer la coercition. La Ligue elle-même s’assimile aux Trade unions anglaises ; elle entend exercer, vis-à-vis des landlords et au nom du prolétariat agraire, la même action que celles-ci vis-à-vis des patrons et au nom des ouvriers des villes ; elle se flatte enfin d’avoir fait du boycottage en Irlande une arme aussi légale que la « mise à l’index » ou l’exclusive