Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 15.djvu/412

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dealing à Glasgow ou à Birmingham, et d’avoir substitué dans la guerre agraire, comme disait naguère M. William O’Brien, « les gros mots aux balles de fusil, » — les coups de langue aux coups de feu.

Ne croyons pas cependant que ce boycottage ne soit jamais qu’un « ostracisme moral, » et qu’on s’abstienne toujours de toute pression illégitime. Tantôt, par un accord spontané, tout le monde dans la région cesse ses relations avec le coupable, à qui l’on ne parle plus que pour le saluer, quand on le rencontre, d’un « au diable le grabber ! » Tantôt, ce qui est moins innocent, on organise des meetings de dénonciation à proximité de chez lui, ou bien on va en bande, avec fifres et tambours, parader devant sa maison en le conspuant. Un grazier boycotté ne trouve plus à vendre son bétail. On a vu un maître d’école « voleur de terres » quitté du jour au lendemain par ses élèves, sur l’ordre de leurs parens. Le boycotté tient-il boutique ? Sa clientèle l’abandonne, et, en quelques semaines, son chiffre d’affaires peut tomber de moitié. Le cas extrême est celui où l’interdit frappe non seulement le principal intéressé, mais, avec lui, tout ouvrier qui travaillerait pour lui, tout commerçant qui le servirait, toute personne qui ferait affaire avec lui ou même tout individu qui lui parlerait : celui qui en est l’objet, landlord ou autre, vit au pays comme un paria.

Qu’une telle arme engendre des abus, cela est fatal, surtout lorsqu’elle est mise aux mains d’une Ligue politique : elle en provoque bien d’autres dans les Trade unions anglaises, où il est vrai qu’ils passent plus inaperçus, tant l’opinion y est accoutumée. De fait, on a vu un comité local de la Ligue imposer d’office telle mesure de boycottage, dans un intérêt qui n’était pas toujours l’intérêt général, ou forcer les récalcitrans à s’enrôler dans la Ligue en menaçant de mettre à l’index toute personne qui n’aurait pas souscrit son nom dans les quinze jours : bon nombre de « loyalistes » et de protestans auraient, paraît-il, cédé à cette sorte d’intimidation. On a vu, dans la retentissante affaire de Tallow, un commerçant, accusé sans raison de grabbing, ruiné sous ce prétexte par ses rivaux dans la localité. Et, pour passer du sérieux au risible, on raconte qu’à Sligo une vieille femme a été boycottée pour avoir été vue causant avec un agent de police, et un commerçant de Castlebar pour avoir mis en montre une gravure représentant le siège de Ladysmith !