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Il y a ainsi, dans l’Ouest de l’Irlande, quelques localités où, avec l’aide de la presse, les branches de l’U. I. L. ont prétendu exercer, sous prétexte d’agitation agraire, une vraie petite tyrannie sociale et politique. Au temps de la National League ou de la Land League, quand il se produisait dans une localité quelque abus, il suffisait que le curé ou quelque notable de l’endroit écrivît au secrétaire de la Ligue à Dublin, à M. Harrington, ou à M. Davitt, pour qu’après enquête ou sur simple ordre télégraphique, on fît rentrer toutes choses dans l’ordre. Aujourd’hui, le contrôle des chefs ne se fait pas autant sentir, extérieurement du moins ; le clergé ne surveille plus comme autrefois ce qui se passe dans les branches, son influence modératrice manque souvent ; et puis l’on vous dira en Irlande que le personnel local de la Ligue ne vaut souvent pas grand’chose, — agitateurs de profession, cabaretiers, parfois simples ruffians, — et même qu’il arrive que parmi les chefs des comités locaux se trouve justement le principal grabber ou grazier de l’endroit, lequel se met ainsi à couvert, et poursuit tranquillement, fructueusement, ses opérations.

Je sais bien qu’on ne fait pas de l’agitation, et surtout de l’agitation agraire, avec un personnel de braves bourgeois paisibles, ni avec la seule arme de la persuasion morale, et qu’après tout, s’il y a des abus, ce sont ceux des comités locaux plus que de la Ligue elle-même. Mais cela n’empêche qu’en Irlande même la Ligue se voit souvent et vivement prise à partie par les esprits indépendans. On lui en veut de ce qu’elle a d’étroit dans ses conceptions, de répréhensible dans quelques-unes de ses méthodes ; on lui en veut de ce qu’elle s’en prend aux petites gens, au lieu d’agir directement sur les grands de ce monde, les landlords. Les grands leaders d’autrefois ne sont plus, ou n’ont plus leur influence passée : ils portent le faix de l’échec de ce mouvement du home rule qui fut la grande pensée de leur temps. La Ligue n’a pas non plus, tant s’en faut, la souveraineté incontestée de la Land League ou de la National League, elle ne concentre pas en elle, comme faisaient celles-là, toutes les aspirations de la nation irlandaise. Les temps ont changé, les idées ont marché depuis quinze ans. L’Irlande a compris que la politique n’était pas tout ; il s’est élevé en elle d’autres désirs, d’autres aspirations, qui ne lui font certes pas oublier la cause des paysans, ni celle de l’autonomie nationale, mais qui font que la partie la plus laborieuse