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a donné cet air piteux, c’est pour faire mieux ressortir par le contraste la supériorité de Lechat. Il nous semble bien que cette supériorité eût été plus éclatante si Lechat avait eu à lutter contre plus forte partie. Mais M. Mirbeau se méfie de l’optique de la scène qui a de terribles exigences. Avant d’engager la conversation, Lechat fait apporter des cigares et une bouteille de porto. Le porto, « le porte des affaires, » joue un rôle essentiel dans les négociations de Lechat. Nous savions déjà qu’entre gens du peuple les marchés ont coutume de se traiter au café : M. Mirbeau nous apprend que de même les grandes affaires, celles où il retourne de plusieurs millions, se négocient autour d’une « bonne bouteille : il n’y a que la qualité de la « consommation » qui change. Nous en éprouvons quelque surprise ; mais nous croyons sur parole. Ce qui rend très difficile l’exposé d’une affaire financière à la scène, c’est qu’il faut en faire comprendre d’emblée la nature, la portée et le mécanisme au public, et que le public est, dans son ensemble, peu au courant de ces sortes de questions. M. Mirbeau a prévu la difficulté et il en a très habilement triomphé. L’affaire que Phinck et Gruggh apportent à Lechat nous paraît d’une simplicité enfantine. Ils se disent propriétaires d’une chute d’eau qu’on utilisera pour une grande industrie : Lechat est sollicité de fournir les capitaux nécessaires à l’installation et à l’exploitation. Seulement… la chute d’eau ne leur appartient pas et, en outre, elle est placée dans la zone militaire, ce qui peut être un vice rédhibitoire. Telle est la supercherie : Lechat la déjoue en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire. Le malheur est que nous-mêmes, qui ne sommes pas de grands financiers, nous avons tout de suite aperçu cette grosse malice. Nous ne réfléchissons pas que tout cela est schématique, qu’il fallait nous faire comprendre, par un moyen de théâtre, en raccourci et en relief, la clairvoyance et l’impérieuse promptitude de Lechat en affaires, et nous nous laissons aller à regretter que l’auteur n’ait tout de même pas réussi à nous faire concevoir pour le savoir-faire de son héros toute l’admiration qu’il faudrait.

Le dernier acte est le moins bien venu. Il est, dans toute sa première partie, farci de dissertations sociales. Lechat reçoit la visite du marquis de Porcellet, gentilhomme décavé, venu pour contracter un emprunt. C’est au tour de Lechat de proposer une affaire à son interlocuteur. Il le tient à sa merci : il est son créancier pour des sommes ! importantes dont les intérêts n’ont jamais été payés ; il n’a qu’un mot à dire pour faire vendre la terre de Porcellet, et agrandir d’autant son propre domaine, où elle est enclavée. Tout peut s’arranger. Lechat