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est prêt à donner quittance au marquis, à condition que celui-ci demande pour son fils la main de Mlle Germaine Lechat. Voilà donc à quoi aboutit tout l’effort de ce grand brasseur d’affaires : à convoiter pour sa fille un titre de noblesse, à ambitionner l’honneur de redorer un blason, à choisir pour gendre un jeune propre à rien ! Sacs et parchemins, roture et gentilhommerie ; c’est l’intrigue qui a servi à des centaines de romans et de pièces de théâtre depuis Jules Sandeau jusqu’à M. Ohnet ! Il est inévitable, en pareil cas, que le débat « s’élève » et qu’oubliant leurs affaires personnelles pour se donner le luxe d’aborder les questions générales, le roturier opulent et le gentilhomme pauvre traitent du rôle antithétique de l’honneur et de l’argent dans la société. Respectueux des exemples de Ponsard et d’Augier, M. Mirbeau n’a pas cru pouvoir manquer à la tradition. Ces développemens font longueur. Lechat y joint l’exposé de ses idées sur la politique de l’Église. Outre qu’on ne voit pas bien ce que l’Eglise vient faire en ces histoires malpropres, il est trop évident que les idées de Lechat sur la politique de l’Église sont négligeables.

Brusquement, d’ailleurs, tout l’échafaudage des ambitions de Lechat va s’écrouler. Germaine refuse d’épouser le jeune Porcellet. Elle n’est pas libre ; elle a un amant. Nous le savions. Dès la fin du premier acte, on nous a mis au courant de cette intrigue domestique. Germaine méprise, déteste, hait son père. Elle s’est donnée au jeune chimiste, Lucien, installé au château pour aider Lechat dans ses travaux de biologie végétale. Elle a tout préparé pour quitter, en compagnie de cet irrésistible chimiste, la maison qui lui est odieuse. C’est le scandale. C’est l’effondrement.

Maintenant la mère et la fille sont aux bras l’une de l’autre. Elles s’attendrissent. Ces deux victimes de la tyrannie du boursier récapitulent leurs longues souffrances. Nous sommes en plein drame larmoyant.

Lechat n’est pas au bout de ses peines. Cet homme dur aux pauvres gens, mauvais mari et qui n’a pas su se faire aimer de sa fille, a pourtant un cœur. Il aime d’une tendresse passionnée et absurde son mauvais sujet de fils. Or, on vient lui annoncer que ce fils est mort dans un accident d’automobile. Sa douleur est atroce. Il étouffe. Il éclate en sanglots, en larmes, en gémissemens. On rapporte le cadavre. Voilà le mélodrame. C’est le moment que les deux escogriffes, Phinck et Gruggh, choisissent pour apporter au malheureux père l’acte de société qu’ils ont eu soin de rédiger à leur avantage. Ils essaient de profiter de l’égarement où l’a plongé la douleur