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éducation qu’il a reçue de son père ; malgré tout, un grand garçon est responsable de ses actes ; en dépensant un argent qu’il sait mal acquis, il devient le complice des escroqueries paternelles : c’est un joli fléau pour une famille. Lechat héberge chez lui un jeune chimiste qu’il traite avec confiance et bonté ; en entrant chez Lechat Lucien était parfaitement renseigné et il n’a pas un instant pu croire qu’il entrât dans la maison de l’homme intègre : en acceptant les bienfaits de Lechat, il savait très bien de qui ils lui venaient : au surplus il connaît la vie et n’affecte aucune espèce d’intransigeance. En guise de remerciement, il séduit la fille de celui qui l’a accueilli ! Enfin Lechat a une fille, Germaine. Comment ne pas plaindre le père de Germaine ? Pour caractériser la conduite, l’attitude, le langage de cette jeune fille, il n’y a qu’un mot qui serve : elle est odieuse. Elle hait son père : quel que soit le père, la haine chez les enfans reste quand même un sentiment contre nature. Ne pouvoir estimer son père, c’est sans doute une atroce souffrance. Que Germaine souffre donc dans son cœur et nous nous associerons pleinement à sa douleur. Mais qu’elle n’ouvre la bouche, comme elle le fait, que pour injurier tous les siens, voilà ce qui est intolérable. Encore, pour s’ériger en interprète de la morale et champion de la vertu, faut-il soi-même être sans tache. Germaine a une tache. Elle a pris un amant. Or, l’honnêteté consiste pour les financiers à ne pas voler leurs actionnaires ; mais pour les jeunes filles elle consiste à ne pas avoir d’amant. Cela enlève beaucoup de leur prix aux révoltes et explosions indignées de Germaine. Elle manque d’autorité. « Tu es un voleur ! » crie-t-elle à son père ; ce qui n’est pas l’exclamation d’une fille respectueuse. « Tu es une fille perdue ! » lui réplique Lechat. et il ne dit que la vérité. Si ce coquin pouvait nous inspirer quelque pitié, il le devrait à l’atrocité de sa fille.

Au fond, et en dépit de certains éclats de voix, il y a beaucoup de bonhomie dans la manière de M. Octave Mirbeau. Sa conception du théâtre est celle des dramaturges qui ne chargent de tant de crimes la conscience du traître qu’afin d’accumuler sur sa tête la vengeance divine. Un satiriste plus âpre n’eût pas manqué de nous montrer un Lechat triomphant jusqu’au bout et sur toute la ligne : il lui eût fait recueillir dans l’estime du monde et l’affection des siens la récompense de ses infamies. Une société où tout serait disposé en vue de l’apothéose des Lechat serait à coup sûr une société mal faite et où l’on aurait honte de vivre. Mais Lechat a contre lui l’opinion, la famille, et la Providence elle-même, qui, à la fin de la pièce, se manifeste expressément pour le châtier. Il a beau avoir entassé les