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tandis que d’autres continuent à le tenir « pour un cynique charlatan, n’ayait jamais eu de pensée au monde que pour son propre succès, n’ayant jamais permis au sentiment du devoir public, ni, presque jamais, à la compassion humaine, de l’embarrasser sur la route d’une ambition insatiable. » Et c’est ce problème que M. Bryce s’est efforcé de résoudre, dans la longue étude qu’il a consacrée à la personne et à l’œuvre du célèbre fondateur de l’impérialisme anglais. Mais je dois ajouter tout de suite qu’il ne me paraît pas, lui non plus, y avoir réussi, et que la lecture de sa très intéressante étude n’a fait que me rendre plus étonnante encore, sinon plus obscure, l’ « énigme » de la fortune politique de lord Beaconsfield.

Peut-être, après cela, l’insuccès de la tentative d’explication de M. Bryce tient-il surtout aux conditions spéciales où elle a été entreprise. Car on sent trop, d’abord, que M. Bryce a toujours été d’un parti opposé à celui de Disraeli, et que, aujourd’hui encore, il ne peut s’empêcher de voir en celui-ci un adversaire, le représentant d’une politique qu’il désapprouve, l’estimant dangereuse pour la prospérité de son pays. Il a beau s’appliquer à être impartial : on sent qu’il n’y parvient pas, que l’éloge lui coûte plus à écrire que le blâme, et que, dans l’éloge même, il ne peut s’empêcher de glisser des réserves qui en atténuent ou parfois en détruisent tout à fait la portée. Et je croirais volontiers aussi que l’insuccès de la tentative de M. Bryce est dû à une autre cause, d’ordre plus purement littéraire : au dédain de l’auteur pour les règles logiques de la composition, telles du moins que les requièrent nos esprits latins. Le fait est que M. Bryce, avec les plus remarquables qualités d’intelligence et de jugement personnel, a de quoi nous apparaître un représentant bien caractéristique de l’un des défauts les plus communs de l’esprit anglais : de ce manque de suite dans l’expression d’une idée, de cette impuissance à ordonner un discours, qui font que, avec son apparence d’être la plus claire de toutes les littératures de l’Europe, la littérature anglaise en est peut-être la plus confuse, du moins lorsqu’il s’agit d’autre chose que d’énoncer un à un des faits particuliers.

Ayant, par exemple, posé avec la netteté qu’on vient de voir le « problème » de la carrière de lord Beaconsfield, M. Bryce se met en devoir, pour le résoudre, d’étudier tour à tour les origines du personnage, sa race, son éducation, ses débuts politiques, les circonstances au milieu desquelles il a joué son rôle, et les qualités propres qu’il y a employées. A la considérer du dehors, son explication semble la mieux ordonnée du monde, la mieux faite pour résoudre le