problème qu’elle veut résoudre. Mais on s’aperçoit bientôt que, étudiant tour à tour les divers sujets que j’ai dits, l’auteur néglige de les étudier « en vue » de ce problème : il traite chacun d’eux comme un sujet distinct, ne s’inquiétant crue d’y mettre le plus de vérité et d’exactitude possible, si bien que, de proche en proche, sous l’accumulation de petits détails biographiques isolés et dont nous avons peine à voir le lien, nous en arrivons à nous sentir encore plus étonnés de l’extraordinaire fortune d’un homme aussi singulier, offrant un mélange aussi complexe de menues qualités et de menus défauts. A force de vouloir nous dire tout ce qu’il sait de Disraeli, et tout ce qu’il en pense, et tout ce qu’en ont pensé ceux qui l’ont approché, M. Bryce évoque devant nous vingt images différentes, dont nous avons peine à composer une même figure. Et ce n’est qu’en dégageant çà et là, de son étude, des traits qui auraient demandé à être mis en lumière, c’est en y introduisant après coup l’ordre et la suite qu’il a négligé d’y introduire lui-même, que l’on pourrait, je crois, parvenir à se rendre compte de ce qui a fait au juste l’originalité et le succès de lord Beaconsfield.
Voici cependant quelques considérations générales qu’il importe de relever. En premier lieu, M. Bryce estime que le succès de lord Beaconsfield est dû, pour une bonne part, à ce qu’on pourrait simplement appeler la chance, c’est-à-dire à un concours exceptionnel « de causes secondaires qui lui ont permis de surmonter les obstacles qui encombraient son chemin. » Une de ces « causes secondaires » a été, d’après M. Bryce, la faiblesse, en talent et en hommes, du parti conservateur anglais, au moment où le jeune Disraeli s’y est insinué. « Dans ce parti, un homme doué de qualités brillantes n’avait guère à craindre de compétiteurs ; en effet, M. Disraeli s’y est tout de suite élevé au premier rang. Étant, à la Chambre, seul de son parti à posséder les dons d’un tacticien et d’un orateur, il devint aussitôt indispensable et ne tarda pas à s’acquérir une suprématie que, en d’autres temps, des années de patient travail n’auraient point suffi à lui procurer. » Sans compter que le parti où il entrait, étant celui des gros propriétaires, et se trouvant ainsi lié par une communauté d’intérêts matériels, « possédait une cohésion, une loyauté à ses chefs, un tenace esprit de corps, bien différens de ce que Disraeli aurait trouvé dans le parti opposé. » Du jour où il avait su se gagner la confiance de ce parti, il était assuré de la garder jusqu’au bout, à la condition seulement de servir ses intérêts et de paraître partager ses idées. Et ce n’est pas tout. Disraeli a eu encore la grande chance de vivre longtemps, et de pouvoir durer. « Si sa carrière s’était close en 1854,