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Victor-Emmanuel qu’il est venu voir à Rome ? Ne serait-ce pas plutôt le pape Léon XIII ? On a pu s’y tromper. Fait sans précédent, qui a laissé la ville italienne dans une sorte de stupeur et la ville papale dans une sorte d’enchantement, l’Empereur s’est rendu au Vatican entouré d’escadrons de cuirassiers allemands qui soulevaient tant de poussière qu’on ne savait vraiment plus à qui appartenait la souveraineté du pays. Plusieurs journaux italiens s’en sont plaints, et nous le comprenons sans peine. En revanche, ce dédain des formes auxquelles on est habitué à Rome, et auxquelles on tient au Quirinal, a beaucoup plu au Vatican. C’est sans doute ce que voulait Guillaume, et il se souciait peu du reste ; mais nous nous demandons ce que diraient les Romains, si un autre que lui se permettait de pareilles libertés ? Il n’y a d’ailleurs pas de danger que cela puisse arriver à un chef d’Etat catholique, puisque le Pape refuse de les recevoir lorsqu’ils viennent à Rome pour un roi qu’il considère comme un usurpateur. Bien en prend à Guillaume d’être un souverain protestant. L’empereur François-Joseph, souverain catholique, n’a jamais pu rendre au roi d’Italie la visite qu’il a reçue de lui à Vienne, il y a aujourd’hui près de vingt-deux ans. L’Empereur allemand a la double bonne fortune d’être hérétique à l’égard du Pape, et d’être pour le Roi un si bon ami qu’il n’a pas à se gêner avec lui. Alors tout s’arrange pour le mieux.

Si on demande quel intérêt a Guillaume II à rechercher ainsi les bonnes grâces du Saint-Père, la réponse est facile. D’abord, beaucoup de ses sujets sont catholiques, et ils représentent un contingent politique avec lequel il faut compter. Mais l’esprit de l’Empereur ne s’applique pas seulement à la politique intérieure ; il s’applique aussi à la politique extérieure, et tous ceux qui en suivent les manifestations depuis quelques années savent qu’une de ses préoccupations constantes est d’enlever à la France le protectorat qu’elle exerce sur les catholiques d’Orient et d’Extrême-Orient. Ce protectorat, que nos radicaux dédaignent dans leur ignorance ou dans leur sottise, d’autres le convoitent et cherchent à nous l’arracher par lambeaux. L’occasion leur paraît bonne pour faire un pas décisif vers l’accomplissement de leurs desseins, et en effet la politique de M. Combes leur fournit des argumens, leur apporte une aide, leur ouvre des voies inespérées. L’esprit de parti peut apprécier comme il lui plaît cette politique au dedans ; au dehors, l’esprit politique, ou, pour mieux dire, le patriotisme ne peut avoir qu’un jugement : elle aboutit pour nous à un désastre. En empêchant les missions de se recruter, nous tarissons