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comme à plaisir une des principales sources de notre influence. C’est un démembrement moral de la France qui s’opère par les mains de sectaires français. Quoi d’étonnant que Guillaume ait cru l’heure propice pour accourir à Rome et y voir le Pape ? Nous ne savons pas ce qui s’est dit dans leur entretien ; rien n’en a transpiré dans le public ; mais il suffit de connaître l’Empereur pour être sûr qu’il n’a pas causé avec Léon XIII sans toucher à ce grave sujet. Il a dû lui dire, avec des preuves abondantes à l’appui, que la France avait cessé de tenir à son protectorat catholique et que, en tout cas, elle se mettait de plus en plus dans l’incapacité de l’exercer. Heureusement il était là, lui, Guillaume, hérétique sans doute, mais sans préjugés, respectueux du sentiment religieux sous toutes ses formes, tolérant, bienveillant même pour les nombreux catholiques de son empire, prêt enfin à recueillir la succession que nous laissions échapper. Espérons qu’il n’a pas convaincu son interlocuteur. L’Église, qui se dit éternelle, sait mieux que personne qu’il ne faut pas sacrifier des intérêts séculaires à la vive, mais fugitive impression d’un moment. Mais il est douloureux pour nous de mettre notre seule espérance dans le bon esprit du Saint-Père, et de penser que notre gouvernement, en pleine paix, sans guerre, sans défaite, s’expose à rendre la France moins grande et moins forte qu’il ne l’a reçue.

M. Chaumié est allé à Constantinople ; tant mieux : c’est là surtout qu’il aura pu s’instruire, s’il a regardé, s’il a vu, s’il a compris ce qui se passait autour de lui. Quelques jours, quelques heures même passées à notre ambassade lui ont montré la place considérable qu’y occupe l’exercice de notre protectorat catholique. A Rome et à Athènes, il n’a rencontré que des visages sourians ; et sans doute il en a rencontré également à Constantinople ; mais, à côté, le conflit des intérêts, qui apparaît là si complexe et si ardent, lui a donné un autre spectacle. Pour peu qu’il ait l’oreille fine, il a dû entendre le sourd craquement du vieil édifice d’influence et de puissance que la politique de nos pères nous avait légué. Et c’est encore le plus utile enseignement de son voyage.


L’état actuel de l’Empire ottoman est bien fait, lui aussi, pour intéresser un observateur intelligent. Des choses qu’on ne tolérerait pas ailleurs, et qui y seraient les symptômes d’une crise violente, mais courte, durent là indéfiniment, sans qu’on paraisse même s’en inquiéter beaucoup. On attend toujours, avec une patience merveilleuse, que la Porte fasse les réformes qu’elle a promises en Macédoine, ou