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on trouve une feuille de papier, et où l’esprit déménage encore plus que tout le reste ; mais je ne veux pas vous faire attendre ma réponse à vos deux dernières lettres. Mon Dieu ! qu’un sentiment vrai est toujours une véritable inspiration, et comme vous rendez bien ce que cette guerre de Crimée vous cause de patriotiques regrets, quand vous songez que vous n’êtes plus là pour partager les périls de vos camarades d’Afrique, « les premiers soldats du monde, » comme les nommait ce pauvre Saint-Arnaud. Tous vos amis s’associent bien vivement à ces regrets, et je ne sais personne qui ait résisté à l’émotion de cette phrase : « Ils battent les Russes sans nous ! » Et puis, vous avez un mérite que n’ont pas, hélas ! tous ceux que la Révolution de Février a jetés hors des affaires et hors du pays : vous ne faites de vœux, même dans l’exil, que pour le drapeau français, dût sa gloire se traduire en force pour le gouvernement qui vous a proscrit et dépouillé. Oh ! c’est là un exemple qui mériterait d’être mieux compris et plus sincèrement imité…

J’ai vu Cousin, qui a reçu votre communication avec une gratitude visible ; il a lu cette lettre de Mme de Longueville sans trop la comprendre et il vous en demandera l’explication. Je lui ai lu ce qui, dans votre lettre, se rapporte à la campagne de Crimée ; il paraît que Thiers trouve que la bataille de l’Aima n’a pas été bien conduite ; quant à Cousin, il n’y blâme qu’une faute, la double attaque en flanc. Qu’en dites-vous ? J’espère que vous donnerez, un de ces jours, une petite leçon d’Anthologie, à Cousin, qui vous en donnera de stratégie. Tout le monde, ici, au surplus, s’est mis en campagne, et c’est toujours l’histoire des nouvellistes de Montesquieu et de La Bruyère : «… Ils ont des ponts sur toutes les rivières, des magasins pour toutes les armées. »

J’arrive des obsèques du maréchal Saint-Arnaud, que je suis, allé voir chez mon beau-frère, au ministère des Affaires étrangères. C’était convenable ; beaucoup de belles troupes, grand monde, affluence plutôt curieuse que triste (mais est-on jamais triste à Paris, excepté aux funérailles des hommes politiques ? et, alors, c’est un parti qui est triste) ; du reste, on n’avait déployé aucun luxe exceptionnel ; le char était simplement de première classe, et il y avait, à la suite de quatre belles voitures de l’Empereur, un certain nombre de fiacres où s’étaient empilés nos amis les Turcs, dans tout le négligé de leur douleur ; des échantillons de la garde, qu’on a montrés au peuple ; les guides, l’artillerie à