Toutes ces horreurs ne sortent pas des bas-fonds de la populace : c’est la marquise de Sévigné, c’est Bussy-Rabutin, ce sont les amis de Condé, qui se font les échos de ces absurdes calomnies, qui les accueillent sans sourciller, comme paroles d’Évangile.
Aussi, bien des gens s’attendent-ils à un châtiment exemplaire, et l’on évoque déjà les plus tragiques souvenirs qui aient ensanglanté l’histoire des ancêtres du prisonnier : François de Boutteville, son propre père, exécuté en place de Grève ; le chef illustre de sa race, le maréchal de Montmorency, dont la tête a roulé sur le pavé de Toulouse. On remonte jusqu’aux temps lointains où l’on « brûla le maréchal de Rais, qui était de la maison de Montmorency, » pour des sortilèges et des maléfices[1]. « Les amis de M. De Luxembourg, ajoute froidement Bussy, disent qu’on ne punit plus de mort, au Parlement de Paris, le crime de sorcellerie. Il est vrai ; mais on punit les maléfices, et l’on ferait mourir M. De Luxembourg, si par la sorcellerie il avait fait mourir quelqu’un. » — « Il pourrait bien faire, lui seul, l’exemple des gens de qualité devant la Chambre ardente, » écrit-on de Paris à M. De Mazauges. Certains vont jusqu’à dire que l’on a déjà fait justice, que l’exécution capitale a eu lieu secrètement au château de Vincennes[2]. Et la comtesse de Rabutin résume tous les propos qui courent en cette phrase lapidaire : « On dirait que l’échafaud est substitué dans cette famille[3]. »
Cette malveillance, ce pessimisme, s’augmentaient de la vive terreur jetée dans les esprits par le coup d’éclat de la Chambre. Pour que le Roi, se disait-on, se résolve à frapper ainsi les familiers de son palais, ses plus illustres serviteurs, combien faut-il que le mal soit profond, le péril redoutable ? Le soupçon s’étendait partout : nulle maladie ne semblait naturelle ; personne ne mourait subitement qu’on ne réclamât l’autopsie[4]. « Ne vous paraît-il pas, disait Mme de Sévigné[5], que nous ne respirons ici que du poison ? que nous sommes dans les sacrilèges et les avortemens ? » Son fils, sous une forme plaisante, exprime la même
- ↑ Bussy à Mme de Rabutin, 28 janvier 1680. Correspondance de Bussy-Rabutin.
- ↑ Relations véritables des Pays-Bas. Bibliothèque de Bruxelles.
- ↑ Lettre du 26 janvier. Correspondance de Bussy.
- ↑ « Un homme étant tombé en apoplexie au faubourg Saint-Antoine, la justice, croyant qu’il était mort de poison, voulut le faire ouvrir ; mais, au premier coup de rasoir, cet homme revint de son assoupissement. » (Relations véritables du 8 mars 1680.)
- ↑ Lettre du 29 janvier au comte de Guitaut. Édition Monmerqué.