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La Ferté[1], accusée de complicité avec la duchesse de Bouillon, décida de se rendre également à la Chambre, bien qu’elle n’y fût point convoquée. La maréchale jouissait d’une réputation équivoque, et ses galanteries lui valaient une célébrité peu flatteuse ; mais il était bien établi qu’elle n’avait pas vu la Voisin. « Ravie d’être innocente une fois dans sa vie, elle a voulu à toute force jouir de cette qualité, » assure Mme de Sévigné. Les « nobles familles » de ces dames se résolurent à les accompagner jusqà’a l’entrée de l’Arsenal. Ce fut un beau spectacle et une brillante journée. Les ducs de Chaulnes et de Chevreuse escortaient, chacun d’un côté, la princesse de Tingry ; la duchesse de Bouillon était « conduite par le prince de Conti, » auquel faisaient cortège le vieux duc de Bouillon, époux de l’inculpée, et le duc de Vendôme, qu’on disait être son amant[2]. La maréchale de La Ferté donnait la main à son mari, qui répétait à tout venant que sa femme n’avait d’autre tort que d’avoir « demandé des secrets pour gagner au jeu, » et que, « si elle n’avait cette passion, elle n’en aurait point d’autre, » assurance qui mettait toute l’assistance en joie. Derrière ces personnages marchait en procession « tout ce qui se trouvait à Paris de gens de qualité, tout le monde murmurant contre les commissaires[3]. »

La duchesse de Bouillon fut appelée la première. « Elle entra comme une petite reine, » ôta son gant, fit voir « une très belle main, » et répondit franchement à tout, « jusqu’à son âge. » Mme de Sévigné, qui nous donne ces détails, est tout émue d’admiration. Au surplus, la duchesse se défendit fort habilement, d’un ton calme et hardi, parfois avec esprit, toujours avec hauteur. On connaît la réponse qu’elle fit à La Reynie, demandant si jamais elle avait vu le diable : « Non, Monsieur, mais je le vois en ce moment ; il est laid, vieux et déguisé en conseiller d’Etat. » Cette petite comédie dura « cinq quarts d’heure à la montre. » Alors, se levant pour sortir : « Vraiment, dit-elle à voix haute, je n’eusse jamais cru que des hommes sages pussent demander tant de sottises ! » Ses parens, ses amis, toute l’aristocratique chambrée, étaient transportés d’enthousiasme ; on la reçut « avec adoration. »

  1. Madeleine d’Angennes de la Loupe, morte en 1714 à l’Age de quatre-vingts ans. Elle était la sœur de la comtesse d’Olonne, qui n’était pas moins galante qu’elle.
  2. Lettre de Bourdelot et de Ricous à Condé, des 29 et 30 janvier 1680. Archives de Chantilly.
  3. Ibid.