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La princesse de Tingry ne se montra pas « si gaillarde, » nous apprend encore la marquise. Il est vrai qu’elle était beaucoup plus innocente. Le résumé que nous avons de l’interrogatoire la révèle toute troublée, hésitante et méfiante, flairant partout des pièges, niant tout de parti pris, même les choses les plus évidentes et les moins reprochables. Elle alla jusqu’à contester l’attachement qu’on lui connaissait pour son beau-frère de Luxembourg, prétendant que « depuis quelque temps elle était fort mal avec lui, » qu’elle le voyait à peine[1]. Les commissaires furent sans pitié pour cette pauvre femme effarée et lui firent payer l’insolence de la précédente accusée. Pendant une heure et demie et plus, on la harcela de questions sur Bonnard, sur du Pin, sur la Bosse et la Vigoureux, sur le commerce supposé de Luxembourg avec Lesage. On n’en put rien tirer qui vaille, et l’on dut la laisser aller. En larmes, défaillante, elle se réfugia dans l’hôtel de son parent, le duc de Chaulnes, où elle tomba malade de frayeur et de saisissement. On ne l’en tint pas quitte pour cette déposition. Deux fois encore, elle fut assignée à la Chambre, retournée sur le gril, menacée même, si l’on en croit Bussy, d’être « remise en son couvent, » si elle persistait à se taire. Il y fallut à la fin renoncer ; et, quelques mois après, un arrêt de la Chambre la déchargeait de toute accusation et proclamait sa complète innocence[2]. La duchesse de Bouillon, avec tout son esprit, sortit moins heureusement d’affaire. Enivrée du succès de sa déposition, elle colporta partout ses réponses, ses bons mots, les leçons qu’elle avait infligées à ses juges, annonça même son intention de « faire imprimer à ses frais son interrogatoire, » pour l’envoyer à l’étranger. Bref, elle fit si bien que le Roi, peu satisfait du ridicule qu’elle jetait sur ses magistrats, lui fit porter un beau matin une lettre de cachet et l’exila dans sa terre de Nérac, où elle put méditer à l’aise sur le danger des propos indiscrets.

Un des derniers interrogés fut le marquis de Feuquières, inculpé de complicité avec le maréchal. Il paraît avoir pris la chose avec beaucoup de belle humeur et de philosophie : « Cette affaire, écrit-il, serait un désagrément terrible si l’on était seul ; mais la compagnie diminue le désagrément. » Sa défense fut

  1. Lettres du duc de Chaulne et de l’abbé de la Victoire à Condé, des 29 et 31 janvier. Archives de Chantilly.
  2. 15 mai 1680. Archives de la Préfecture de Police.