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l’effet est d’une justesse aussi absolue. Les théoriciens qui ont voulu réduire à telle formule de luminosité moderniste le paysage contemporain n’ont jamais observé deux fois la Méditerranée. En mille endroits de la côte, et particulièrement sous l’Estérel, on ressent l’éblouissement multicolore que procure la toile de M. Auburtin. Les rochers d’un jaune et d’un rouge intransigeant plongeant, à cru, dans une eau d’un bleu violent où serpentent des traînées de Vert vif, donnent cette sensation de feu d’artifice, — ou de fontaine lumineuse, — et dès que le soleil s’éteint et qu’on descend sous les rochers de façon à ne plus voir le fond de la mer, mais seulement sa surface, l’eau telle que l’a peinte M. Auburtin s’efface et l’eau, telle que l’a peinte M. Bertrand, apparaît.

Après les grandes agitations de la mer ou du torrent, il y a encore une vie multiforme et indéfiniment curieuse à observer dans les eaux paisibles de nos plaines françaises. Celles de la Marne par M. Lhermitte, dans son grand tableau exposé avenue d’Antin, n’ont malheureusement rien du charme des rivières de France, de ces rivières qu’un étranger, Turner, a pris si longtemps pour thèmes de ses rêveries : ni la justesse du ton, ni la fluidité de la matière, ni l’harmonie des verts sur les bords. Un effet dispersé, une lumière fausse, des arbres sans consistance, des eaux sans mouvement, tels sont ces Bords de la Marne. Il n’est d’erreurs intéressantes que de grands artistes, et la difficulté de peindre l’eau courante n’est prouvée que par l’échec d’un maître aussi admirable qu’est, cette année encore, M. Lhermitte. Qu’on tourne le dos à cette vue de la Marne, qu’on regarde la Moisson dans la plaine, qui lui fait face (n° 849). Jamais, peut-être, le peintre des Paysans n’avait plus fortement, plus sobrement, exprimé la vie rurale et, dans toute notre école de paysagistes on ne trouverait peut-être pas, du même sujet, une aussi définitive expression. Le succès de M. Lhermitte, dans les œuvres de cet ordre, est si accoutumé que l’habitude émoussé notre admiration. Mais les choses ne doivent pas être admirées seulement pour leur nouveauté : elles doivent l’être aussi pour leur puissance. Qu’on se place en face de cette œuvre, avec des yeux neufs, avec le souvenir vivant et présent de ce que sont nos plaines françaises, par une chaude journée d’été, sous un ciel voilé, chargé de nuages, les moissonneurs perdus dans la masse lourde et dorée des blés, où l’on fauche et ramasse à pleins