sirènes qui beuglent, les marchands qui s’agitent, tout ce qui vit, appartient aux maîtres du jour, à l’Anglais ou au Maltais.
Il est difficile d’imaginer un contraste plus tranché que celui qui existe entre les 160 000 Maltais, qui vivent sur l’étroit territoire de l’archipel, et les 10 000 Anglais qui les gouvernent ; entre les deux races, nulle intimité, nulle tentative de fusion ; elles sont aussi séparées après un siècle qu’au premier jour : la Grande-Bretagne a besoin de l’île et du port pour la défense de son empire maritime et elle l’emprunte aux Maltais ; en échange, elle les protège dans leur commerce extérieur, elle leur donne l’ordre, la paix, une bonne police, et, pourvu qu’ils ne contrarient pas sa politique et n’entravent pas les travaux de défense, elle respecte, en général, leurs coutumes et leurs institutions séculaires. Les Anglais ne s’implantent pas là où ils dominent : ils se contentent d’y régner et d’y être forts. Si, demain, ils se décidaient, tout d’un coup, à abandonner l’île et embarquaient sur leur flotte leurs soldats, leurs fonctionnaires, tous leurs nationaux, il ne resterait d’eux, en dehors des forts et des bâtimens militaires de toute sorte, qu’un champ de courses, péniblement nivelé sur le sol rocheux, quelques emplacemens pour le tennis et le golf, et, dans la salle du Grand Conseil, les noms et les armoiries des gouverneurs britanniques, faisant suite à ceux de Bonaparte et des Grands-Maîtres.
Active, commerçante et industrieuse, la population des îles s’accommodait assez volontiers, jusqu’à ces derniers temps, du régime britannique. Elle tient, de ses origines phéniciennes et africaines et de ses affinités avec les Arabes, un fatalisme résigné ; ayant vu grandir et tomber tant de dominations, elle semble dire : qu’importe le maître d’aujourd’hui, pourvu que Malte soit tranquille et prospère ? Il passera comme les autres ont passé ! Pendant l’année 1901, en l’honneur du nouveau siècle, presque toutes les maisons de La Valette, surtout dans les faubourgs pauvres de Vittoriosa et de Bourmola, avaient inscrit au-dessus de leurs portes, sur une pancarte de bois ou de carton : Christus régnat, Christus imperat, ou bien : Heri et hodie, ipse et in sæcula ; et cette affirmation du règne immuable de Dieu, au lendemain de l’avènement d’Edouard VII, semblait prendre un sens ironique,