Méditerranée, la question militaire est intimement unie à une question politique : elle en dépend.
L’hégémonie militaire de la Grande-Bretagne, dans la Méditerranée, ne s’appuie pas sur une longue étendue de côtes, mais sur une longue ligne jalonnée de forteresses isolées : Gibraltar, Malte, Alexandrie, la baie de la Sude ; mais 1 800 kilomètres, sans un rivage, sans un port anglais, séparent Malte de Gibraltar ; pour aller de l’une à l’autre, une flotte britannique serait forcée de défiler constamment le long des côtes françaises ; elle se trouverait, pendant presque toute la traversée, dans le triangle dont Toulon, Bizerte et Oran marquent les sommets et dont la Corse flanque l’un des côtés ; elle risquerait, à chaque instant, d’être attaquée de flanc par les torpilleurs de Mers-el-Kébir, d’Alger, de Bizerte ; si elle faisait un crochet vers le nord, elle rencontrerait ceux de Port-Vendres, de Marseille, de Toulon, d’Ajaccio et de Porto-Vecchio. Ces conditions défavorables seraient complètement retournées, si, dans l’intérieur du triangle, l’Angleterre possédait un troisième point d’appui, une troisième forteresse ; Port-Mahon, qui, pour l’Angleterre, fut sa Malte du XVIIIe siècle, est la meilleure position stratégique de la Méditerranée occidentale ; des hommes comme sir Charles Dilke, l’amiral lord Charles Beresford, le capitaine américain Mahan, n’ont pas hésité à conseiller au gouvernement de Londres de s’en emparer dès le début d’une guerre avec la France, en même temps que des alentours de la baie d’Algésiras. La jonction des forces espagnoles aux forces françaises, qui résulterait probablement d’un pareil attentat, semble à ces écrivains militaires un inconvénient trop faible pour balancer l’immense avantage de la sécurité assurée à Gibraltar et de la possession de Minorque.
Quoi qu’il en soit d’ailleurs, l’histoire montre que l’Angleterre n’a jamais maintenu sa puissance militaire dans la Méditerranée qu’en entraînant, dans l’orbite de sa politique, l’un ou l’autre des grands États qui en occupent les rivages et en détiennent les ports. Pendant les guerres de la première République, Nelson avait fait du royaume de Naples et de la Sicile sa base d’opérations ; et, dans ces dernières années, de ses « bons alliés » d’Italie, pour employer l’expression de M. Chamberlain, l’Angleterre attendait bien moins, en cas de guerre avec nous, une active collaboration de leurs escadres, que la libre disposition de leurs arsenaux, de leurs ports et la faculté d’y ravitailler,