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Arbre mourant qui se consume
D’amour pour l’air des belles nuits,
Amant plein de divins ennuis
Couché sur l’insensible brume,

Vous qui sentez d’âpres langueurs
Vous percer jusqu’aux tendres moelles,
Et qui jetez jusqu’aux étoiles
Le désespoir de votre odeur,

Vous qui donnez en pure perte
De tels élans, de tels sermens,
Et votre fol énervement
Aux brises de la nuit inerte,

Vous dont l’extase est un tel cri
Que le rossignol même écoute
Le sanglot que fait sur la route
Un parfum si lourd, si meurtri,

Voyez comme je suis pareille
A tous vos pétales blessés,
Moi dont chaque nerf insensé
Est plus piquant qu’aucune abeille.

— Ah ! comment ne viennent-ils pas,
Les rêveurs, en pèlerinage,
Ce soir, ainsi que des rois mages,
Vers ma vie et vers ce lilas !

Ah ! quelle insurmontable ivresse,
Dont on n’aurait jamais joui,
— O mon lilas évanoui,
Vaut votre odeur et ma tristesse !

Toutes les barques d’Orient
Pleines de roses et d’épices,
Dans l’air suave, ardent et lisse,
Font un sillage moins criant