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confortables fauteuils dont les longs bras servent à étendre les Jambes, buvant dans de grands verres couverts de buée des boissons acides et glacées. Partout des pankas que tire quelque boy où des hélices électriques font passer des courans d’air frais. Le service est fait sans bruit par des gens qui glissent plutôt qu’ils ne marchent, par des boys vêtus de blanc, silencieux et les pieds nus. Et c’est une grande douceur de se laisser vivre sans pensée et sans rêve, comme une plante ou un mollusque, dans ce pays où la vie déborde, où on se sent si peu de chose dans l’activité féconde de la nature, dans la lutte éternelle que l’on comprend mieux qu’ailleurs entre l’amour qui crée aujourd’hui et la mort qui prépare la création de demain.

Colombo est une grande ville construite un peu au hasard et sans plan très déterminé. La partie industrielle et commerciale qui avoisine le port n’offre pas d’intérêt. Mais la ville indigène, coupée d’avenues ombreuses et de lacs bordés d’arbres où des gens se baignent tout le jour, est jolie et a du caractère. Dans le voisinage de Cinamon Garden, des villas luxueuses et coquettes, séparées par des jardins, abritent toute la colonie européenne. Il y a là des nids délicieux, perdus dans la verdure et les fleurs, où l’on rêverait de cacher quelque temps, loin du monde, un bonheur ignoré.

Mais le plus joli site de Ceylan, celui où semble s’être concentrée toute la poésie des tropiques mêlée à de vieux souvenirs, c’est Kandy. En quittant Colombo, la ligne traverse d’abord de grandes plaines cultivées et fertiles. Dans la mer vert pâle des rizières, les bois de cocotiers forment des îles sombres. Puis ce sont des bambous touffus au feuillage clair qui alternent avec des bananiers aux larges feuilles déchiquetées. Bientôt la voie s’élève, commence à gravir les montagnes de l’île. Le paysage est pittoresque. Le train suit des lacets successifs qui modifient à chaque instant l’aspect. Dans la verdure des pentes boisées, des roches dénudées font de larges taches rouges, tandis qu’au fond de précipices que nous dominons de 500 pieds, paraissent, microscopiques et claires, de petites rizières qui s’y sont nichées. Au loin, par-delà les abîmes de lianes et de fougères, par-delà les grands arbres des cimes, surgissent des montagnes plus hautes, toutes bleues dans le ciel d’or du couchant. Et je comprends l’enthousiasme que ce trajet a excité chez presque tous ceux qui ont commencé par-là leurs pérégrinations dans les