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POINTE DE GALLE

30 novembre. — Hier nous avons jeté l’ancre à Pointe de Galle sous un déluge. Ce matin, au réveil, nous avons retrouvé la même pluie qui tombe encore sans discontinuer avec une violence inconnue à nos pays du Nord. Et c’est dommage, car Galle doit être un endroit ravissant quand il fait beau, quand le grand soleil éclaire les cocotiers de la plage et illumine les montagnes qui enserrent la baie.

Dans l’après-midi cependant, une éclaircie étant survenue, nous nous décidons à aller à terre. Galle est une vieille ville. Ce fut un des premiers points occupés dans l’île de Ceylan par les Portugais d’abord, par les Hollandais ensuite. La domination anglaise ne date que de la fin du XVIIIe siècle. D’antiques remparts dominant la mer, des portes larges et sombres, quelques lourds bâtimens, anciens arsenaux sans doute, aux arcades noires et chancelantes, une église en ruine, tels sont les vestiges qui subsistent encore du passage sur cette terre des compagnons de Camoëns. Un cimetière avec des inscriptions à demi effacées sur les dalles, au milieu de ronces et de fougères, est la seule trace que j’aie pu retrouver de l’occupation hollandaise. Mais les Portugais partagent avec les Espagnols la propriété de laisser une empreinte profonde partout où ils ont séjourné. Les uns comme les autres sèment avec abondance une race de métis qui subsiste pendant des siècles, se rapprochant de plus en plus par l’extérieur de l’indigène pur sang, mais conservant dans son langage, dans sa religion et dans ses mœurs, quelque chose de l’origine primitive. J’ai connu ainsi à Colombo un tailleur, d’ailleurs déplorable, qui ressemblait à un Tamil, mais qui se vantait d’être Portugais et de s’appeler da Silva.

Nous errons par les rues boueuses, nous arrêtant de temps en temps devant un marché ou une échoppe. En somme rien de curieux pour des habitués des pays exotiques. Cependant une maison proprement tenue, entourée de palmiers, attire notre attention. A tout hasard nous entrons et demandons à visiter le jardin. C’est l’habitation d’un riche Cinghalais. Le propriétaire est absent, mais nous sommes reçus par ses filles, ses nièces, toute une maisonnée de jeunes personnes noirâtres, plus ou moins habillées à l’européenne. Tout ce monde parle l’anglais à